L’Union européenne en quête d’institutions légitimes et efficaces dans la décennie 2000

 

 

            Une réflexion ambitieuse qui permette d’« esquisser les contours de l’Europe que nous voulons, pour de main et pour après-demain », tel était l’objectif que Pierre Moscovici, alors ministre délégué chargé des affaires européennes, avait assigné au groupe de travail mis en place sous l’égide du Commissariat général du Plan. Cette réflexion a été menée, sous la direction de Jean-Louis Quermonne, président de l’Association française de Science politique, par des responsables administratifs,  des chercheurs et des universitaires. Le rapport part du constat que la méthode communautaire est unique, elle emprunte des éléments à la fois au modèle inter-gouvernemental et à l’approche supranationale, sans se confondre avec l’une ou l’autre des ces approches. En fait, c’est la démarche fédéraliste qui se rapproche le plus de celle de l’Union européenne, si l’on entend par fédéraliste, comme le précise le rapport, non le modèle américain mais un « fédéralisme coopératif » qui « inscrit au centre du processus de décision la coopération étroite des gouvernements ». En s’appuyant sur cette méthode, le groupe de réflexion insiste sur la nécessité de créer un véritable gouvernement que ne possède pas l’Union européenne. Mais dont elle ne peut plus se passe, notamment du fait de l’élargissement. De plus, pour rendre ce mode de gouvernement réellement efficace, la lisibilité des institutions doit être renforcée.

 

 

I. Le poids du nombre

A. Constat actuel et élargissement à venir

1. Les dysfonctionnements actuels…

Ces dysfonctionnement sont présentés comme l’une des quatre raisons majeures de la nécessité de réformer les institutions européennes.

- Ils touchent les trois institutions que sont le Parlement, la Commission et le Conseil de l’Union (Conseil des ministres, il sera parfois simplement appelé Conseil ici). Ces deux derniers organes sont victimes d’une sectorisation (la Commission est de moins en moins collégiale et le Conseil multiplie le nombre de ses formations) qui rend difficile toute coordination et fait courir un risque d’incohérence aux mesures adoptées. Quant au Parlement, sa récente montée en puissance rend le processus de décision plus compliqué et menace d’aboutir à un gouvernement d’Assemblée. Cette dernière remarque mérite par ailleurs d’être nuancée quand on connaît le peu de poids accordé pour l’instant au Parlement, et relève d’une méfiance bien française à l’égard des assemblées délibératives.

- Ces dysfonctionnement internes paralysent le processus de décision. Ceci est flagrant sur la scène internationale où les Etats-membres sont incapable de parler d’une seule voix.

- Enfin, toutes ces difficultés ont été traduites dans les traités qui font cohabiter des politiques très différentes sans esprit de coordination .

2. … vont être aggravés par l’élargissement

Si les institutions fonctionnent déjà avec des lourdeurs certaines, l’accroissement du nombre d’Etats va mécaniquement renforcer ces difficultés. Deux problèmes majeurs se posent : d’une part, la difficulté de délibérer (avec 25 membres, un simple tour de table du Conseil pourra prendre facilement 50 minutes, à raison de deux minutes laissées à chaque ministre pour exposer son point de vue sur l’ordre du jour) et de décider ; d’autre part, il ne sera pas évident de maintenir la règle d’un représentant par Etat membre dans les organes collégiaux (Commission, Cour de Justice, Cour des Comptes). Si ce problème a été, depuis la parution du rapport, réglé par le Conseil de Nice, le problème se reposera forcément si l’Union continue de s’élargir, par exemple dans les Balkans.

A ces complications institutionnelles s’ajoute la nécessité d’une réflexion sur l’identité politique de l’Union, pour faire face à l’hétérogénéité accrue de ses membres, ainsi qu’une définition claire d’un statut entre Etat membre et pays candidat à l’entrée dans l’Union européenne. Ces deux réflexions sont toujours d’actualité avec le débat sur l’adhésion de la Turquie qui prévaut aujourd’hui.

3. Une première solution évidente : le renforcement du vote à la majorité qualifiée

A moins de bloquer complètement le processus de décision du Conseil, l’extension du recours à la majorité s’impose du seul fait de l’élargissement. La majorité requise pourrait ainsi varier suivant les champs d’action et serait calculée avec une pondération des voix qui demande à être revue (ce qui a été fait à Nice). Enfin, cette mesure pourrait s’assortir de la prise en compte d’une abstention constructive qui permettrait à un Etat invoquant l’existence d’un intérêt national essentiel de réserver sa position sans empêcher les autres Etats de progresser.

B. La nécessité d’un centre de gravité

1. Constat

N’en déplaisent à ses détracteurs, l’« Europe à la carte » existe déjà : la création de l’Union Economique et Monétaire ainsi que celle de Schengen le prouvent. Ces deux exemples témoignent des dérogations qui ont été accordées à certains Etats pour « aller moins loin ». Mais le traité d’Amsterdam a également institutionnalisé des coopérations renforcées qui permettent « d’aller plus loin », cette fois dans le cadre du premier et du troisième pilier. Ces coopérations renforcées ne sont pas suffisantes aux yeux des auteurs du rapport, en particulier en ce qui concerne la politique étrangère et de sécurité commune.

2. Solution proposée

Le rapport propose donc de créer un « centre de gravité géopolitique » qui jouerait le rôle de leadership européen et permettrait de conserver l’existence d’un groupe, ouvert à tous, d’Etats qui participeraient à toutes les coopérations renforcées, tandis que les autres pourraient n’adopter que certaines d’entre elles. Cette solution aurait pour principal avantage de préserver un noyau dur au sein d’une Europe partagée entre diverses politiques. Ce centre de gravité pourrait s’organiser de façon plus ou moins institutionnalisée, autour de réunions informelles ou en s’intégrant au sein de l’actuelle communauté européenne dont le rôle serait alors entièrement modifié.

 

II. Un gouvernement efficace

A. Propos sur la méthode communautaire

Il ne s’agit pas ici de réformer l’Union européenne pour en faire une instance supranationale. Le groupe de réflexion entend s’appuyer sur la méthode communautaire telle qu’elle a été développée jusqu’à présent, à savoir une étroite coordination entre les gouvernements nationaux et l’instance supranationale que représente la Commission.

S’appuyer sur la méthode communautaire ne signifie pas que celle-ci, telle qu’elle fonctionne actuellement, est adaptée aux nouvelles formes de coopération qui concernent des politiques publiques régaliennes, comme la sécurité intérieure et la politique étrangère. De plus, la priorité sera à l’avenir moins de produire des normes communes que d’impulser et de coordonner des actions en commun. Or, le décalage entre la volonté politique affichée, notamment par le traité d’Amsterdam, et le relais institutionnel trop faible sera soit une source d’affaiblissement des politiques européennes, soit renforcera la séparation en piliers de l’Union qui est nuisible aux politiques  les moins intégrées et ne répond en aucun cas aux besoins futurs de l’Union.

Pour y répondre, il n’est nul besoin de renforcer la « communautarisation » des instruments de politique publique. Mais l’Union doit se doter d’un « mode de gouvernement permanent », notons que pour les auteurs ceci n’est pas une vague formule mais marque bien la volonté de faire émerger un pouvoir de décision gouvernemental largement renforcé par rapport à ce que connaît l’Union aujourd’hui. 

B. Les réformes proposées

1. Le recentrage des institutions européennes

Pour lutter contre la sectorisation et la dispersion dont sont victimes les institutions européennes, il convient de réorganiser les institutions européennes, notamment le Conseil des ministres et la Commission,  sur leur fonction politique.

Ce qui implique :

- La réduction du nombre de formations du Conseil des ministres (une quinzaine semble un nombre approprié) ;

- La coordination de l’ensemble des formation du Conseil des ministres par un Conseil des « affaires générales » permanent composé des ministres des affaires européennes directement placés auprès de leur chef de gouvernement et siégeant au moins une fois par semaine en présence du président de la commission. La création d’un poste de ministres des affaires européennes « haut placé » dans chaque pays, ou au moins dans les pays dont le ministre des affaires étrangères est accaparé par des dossiers externes à l’Union, prouveraient alors l’importance que les gouvernements nationaux accordent à l’UE. La présidence du Conseil de l’Union devrait être dissociée de celle du Conseil européen et rester tournante, soit sous la forme actuelle, soit, pour en accélérer la rotation, sous une forme collégiale, un nombre déterminé d’Etats membres se répartissant les différentes formations du Conseil ;

- Le recentrage de la Commission sur son rôle d’animation et d’exécution. Cela nécessite le transfert de ses tâches administratives, notamment le contrôle de l’application des politiques communautaires, à des agences. Par exemple, un corps d’inspection commun, géré par une agence autonome, pourrait être créé afin de vérifier l’application des normes communautaires concernant le contrôle des frontières et la criminalité ;

- Placé au sommet de l’UE, le Conseil européen pourrait ainsi continuer à exercer sa mission d’impulsion et d’orientation et à jouer le rôle de « chef d’Etat collectif ». Il se verrait ainsi octroyé le droit de dissolution du Parlement sur proposition de la Commission.

2. L’établissement d’une synergie entre la Commission et le Conseil de l’Union

Le principal objectif des réformes envisagées vise à accroître l’aptitude du Conseil des ministres et de la Commission à prendre des décisions en commun par rapprochement de leurs structures et synchronisation de leur fonctionnement, afin qu’ils puissent ensemble constituer un gouvernement européen permanent.

Ainsi les attributions de chaque commissaire correspondrait à celles d’une formation du Conseil, les directions de la Commission devraient donc être réorganisées en ce sens.

Ce commissaire assisterait à toutes les réunions du Conseil des ministres auquel il serait rattaché, il jouerait par là même un rôle de « mémoire » du Conseil auprès des nouveaux ministres arrivant après un changement de majorité ou un remaniement ministériel.

Les commissaires en surnombre, qualifiés de commissaires délégués, seraient affectés à des missions ponctuelles. Mais ne peut-on penser que cette hiérarchisation de la Commission, ainsi que l’introduction de sa responsabilité politique devant le Conseil européen, risque de renforcer sa docilité envers les chefs d’Etat et de gouvernement, plutôt que de contribuer à augmenter son rôle politique comme disent le souhaiter les auteurs du rapport (ils prônent ainsi une extension de son pouvoir de proposition) ?

III. Une meilleure visibilité des institutions

A. Une répartition des compétences plus claire

1. Entre les Etats et l’Union

Aucun traité n’a jusqu’à présent établi de « catalogue » qui déterminerait les compétences exclusives de l’Union et des Etats et les compétences concurrentes, et ce pour des raisons à la fois politiques - l’approche diplomatique a privilégié les objectifs à atteindre et les moyens pour y parvenir plutôt qu’une répartition des compétences - et techniques. En effet, le champ des compétences communautaires n’est pas délimité de façon évidente, et l’écrire noir sur blanc pourrait figer la dynamique future de l’Union.

Pourtant le groupe de travail préconise une telle répartition des compétences, ce qui aurait pour principal mérite de rendre la construction européenne plus claire aux yeux des citoyens et des pays candidats. La répartition des compétences conserverait ainsi son aspect politique, alors que les conflits sont résolus à l’heure actuelle par la cour de Justice, ce qui protégerait les domaines réservés des Etats-membres. Cette perspective s’inscrit donc bien dans les vision non fédéraliste de ce rapport.

2. Entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif

La hiérarchie des normes adoptées par l’Union ne correspond pas à celle adoptée par les Etats-nations. Pour l’instant, le droit communautaire connaît une norme supérieure constituée par les traités en vigueur, ensuite viennent les accords internationaux, puis les actes normatifs de portée générale et enfin les actes individuels. De plus on distingue deux catégories d’acte à caractère normatif : le règlement et la directive. Cette hiérarchie n’est pas classique puisqu’elle ne sépare pas le domaine législatif du domaine exécutif.

Les réformes proposées ici reviendraient à introduire cette distinction en donnant à la Commission le pouvoir exécutif. Il ne s’agit pas de séparer un domaine normatif appartenant à la Commission d’un domaine normatif revenant au Parlement et au Conseil, car les Etats n’accepteraient pas de se voir dessaisis de certaines compétences, mais de donner à la Commission un vrai pouvoir réglementaire subordonné à l’action  des deux autres institutions. On peut ainsi penser qu’elles édicteraient des normes générales que la Commission serait chargée de mettre en application. Ensuite, une loi communautaire pourrait être créée, soit en qualifiant de la sorte les actes adoptés selon la procédure de codécision, ce qui aurait une valeur symbolique, soit en étendant les pouvoirs du Parlement. Cette dernière solution modifierait complètement les rapports entre les trois institutions, comme l’indique le rapport sans en préciser davantage la portée.

3. Entre les administrations directe et indirecte

L’exécution matérielle des actes communautaires relève aujourd’hui de la compétence des Etats-membres, par le biais de leurs administrations.  Mais des crises récentes comme celle de la vache folle ont révélé des failles dans ce système : alors que la Commission dispose de plus en plus de pouvoirs d’exécution directe, elle ne dispose pas de moyens pour les exercer.

Malgré les réticences des Etats-membres à voir s’étendre l’administration communautaire, il est nécessaire de renforcer le contrôle de la Commission sur les administrations nationales lorsqu’elles mettent en place les politiques communes, ce qui implique la création de services communautaires déconcentrés.

B. Des institutions présentes

1. Sur la scène internationale

La formule actuelle de la présidence tournante de l’Union, qui présente l’avantage d’impliquer chaque Etat membre à tour de rôle, se heurtera à moyen terme à l’augmentation du nombre d’Etats ainsi qu’au manque d’expérience des nouveaux adhérents. Le rapport préconise donc l’élection d’un président permanent du Conseil européen par les chefs d’Etats et de gouvernement. Ce président pourrait être choisi au sein du collège, il devrait alors abandonner ses fonctions nationales, ou à l’extérieur. L’institution d’un tel leadership permettrait de donner une représentation internationale clairement identifiable à l’Union et qui serait en outre plus légitime que le représentant de la PESC. Par contre, le rapport n’aborde pas le risque d’un c

Enfin, la création d’un Conseil des affaires étrangères et d’un conseil de défense, dont les présidents seraient assistés du haut représentant pour la PESC, renforcerait le poids de l’Union dans les affaires internationales. Ces deux conseils pourraient fusionner en cas de crise pour former un Conseil de sécurité extérieure présidé par le président du Conseil européen et éviterait peut-être que l’Union reste sans réaction face aux événements internationaux et aux conflits, surtout lorsqu’ils se déroulent sur le continent européen.

 

2. Aux yeux des citoyens

 L’appropriation progressive de l’UE par les opinions publiques européennes exige de satisfaire la revendication de démocratie et de transparence des citoyens européens.

L’impératif de démocratie passe par un renforcement de la citoyenneté européenne : le mode d’élection du Parlement européen devrait être harmonisé de façon à rapprocher les élus des citoyens (ce qui vise entre autres le choix français de la proportionnelle à l’échelon national). A terme, une fraction du Parlement pourrait être élue sur la base de listes plurinationales établies à l’échelle de l’UE avec deux voix par électeurs.

La transparence s’obtiendra par une meilleure visibilité des institutions, notamment grâce à la répartition des compétences et à l’existence d’un président du Conseil européen qui personnaliserait la légitimité de l’UE à son sommet,  ainsi que par une meilleure lisibilité des traités. C’est ici qu’intervient la proposition d’un pacte constitutionnel refondateur. Les auteurs du rapport estiment qu’il devrait être court, une quarantaine d’articles, et inclure quatre séries de dispositions :

- Une référence explicite aux valeurs sur lesquelles repose l’Union et à la sanction de leur non-respect ainsi qu’aux garanties de l’identité des Etats-nations, sur la base du principe de subsidiarité ;

- Une charte des droits civiques et sociaux qui consacrerait l’évolution récente de l’Union qui a intégré les droits fondamentaux dans le traité d’Amsterdam, quant aux droit sociaux, ils témoigneraient d’un véritable modèle de société européenne ;

- Les principes directeurs des politiques communes (il en existe déjà dans les traités en vigueur comme par exemple la stabilité des prix et la recherche d’un niveau élevé d’emploi) ;

- L’architecture institutionnelle de l’Union.

Seul ce Pacte devrait ne pouvoir être modifié à l’avenir qu’à l’unanimité des Etats, les autres articles des traités pouvant relever d’une procédure simplifiée n’exigeant qu’une majorité surqualifiée au Conseil.

            Enfin, il convient de prendre en compte la nécessité d’un « espace judiciaire effectif » qui est la résultante logique de la création d’un troisième pilier, celui de la Justice et des Affaires intérieures.

 

 

Ce rapport se présente donc comme la tentative de donner des institutions au concept de fédération d’Etats-nations développé par J. Delors. Si le terme peut prêter à sourire chez les fédéralistes convaincus qui ne manqueront pas de souligner les contradictions propres à une telle démarche, ce rapport n’en propose pas moins un approfondissement des politiques européennes de la PESC qui ne conviendrait pas plus à ceux qui voudraient ne considérer l’Union que comme un espace économique.

De plus, loin d’être une simple étude des dysfonctionnement de l’Union au début du 21ème siècle, il propose des réformes qui sont pour certaines, comme la création d’un poste de président du Conseil européen, à l’ordre du jour de la Convention européenne, convention qui doit elle-même rédiger un pacte constitutionnel comme celui prôné par le rapport.

Les limites de ces propositions viennent sans doute du fait qu’elles sont issues d’une vision typiquement française, qui souhaite à la fois pour l’Union européenne une défense commune forte et des Etats ayant toute leur place au sein du processus décisionnel. Cependant ce reproche ne peut que difficilement être adressé à un document destiné à nourrir la diplomatie française.

 

 

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