L'Union européenne, un construit juridique : de l'ordre juridique au systeme juridictionnel européen

 

 

 

L’Europe transforme les Etats, mais elle est aussi une révolution juridique

Les Etats ont émergé par le droit dans l’histoire : c’est par le droit qu’ils se transforment également. La boucle est bouclée.

 

I) En quoi le droit est-il un puissant agent de remise en cause des droits des Etats ?

II) La remise en cause de la souveraineté pose des questions de nature politique.

 

Cf : « La question de l’Etat européen », Jean-Marc Ferry

 

Il y a deux cours : la CJCE (Luxembourg) et la CEDH (Strasbourg). Dans l’espace juridique à 15 ou à 30 (pour la CEDH) : deux cours mettent en place un ordre juridique européen, une communauté de droit fondée sur l’idée que ces droits européens s’imposent aux Etats. Le rapporteur français du projet de CEDH en 1948, Pierre-Henri Teitgen : « il s’agit de limité la souveraineté des Etats du côté du droit et, de ce côté-là, toutes les limites sont permises ». Il s’agit d’empêcher le retour à la barbarie (nazie). La question posée aux juristes dans les années 1950 est celle de la souveraineté, qui hante l’imaginaire politique depuis Bodin et Hobbes : c’est le souverain qui fait régner l’ordre et la justice.

Un Etat à la souveraineté limitée est-il toujours un Etat ? La construction juridique pose la question de l’Etat-nation. Elle la pose de manière radicale parce que, pour beaucoup de démocrates, c’est l’Etat-nation qui est le seul repère de la démocratie. Si l’E-N est le cadre de la démocratie, peut-il y en avoir un autre ?

 

I) Les E-N et leur droit face au droit européen

 

A) Droit de l’UE et droit des E-M du Conseil de l’Europe.

Il y a deux ordres juridiques : l’UE, un ordre juridique d’intégration, car le droit de l’UE fixe des règles immédiatement applicables dans tout l’espace, dont on dit qu’elles sont premières, qu’elles ont la primauté par rapport au droit nationale. Les compétences sont partagées : il y a une subsidiarité-concurrence. En revanche, la CEDH établit un ordre juridique d’harmonisation : il n’y a pas de parlement, pas d’organe de contrôle des Etats : on cherche à établir une complémentarité.

Ces deux ordres, qui reposent sur des principes différents, ont également des visées différentes.

UE : des règles visant à la libre concurrence : le droit du marché

CEDH : des règles visant au respect des droits de l’Homme : les droits de l’Homme

 

La CJCE et la CEDH peuvent être saisies directement par les individus, les requêtes étatiques ont pratiquement disparues.

L’Etat souverain, en théorie, est inattaquable. Maintenant, il est justiciable !

 

Droit de l’UE

Le droit est très composite et un peu opaque : droit primaire (traités constitutifs de l’Europe : de Rome à Amsterdam et Nice), le droit complémentaire (conventions conclues entre certains E-M, dont Schengen ou le Brevet européen), le droit dérive (tout ce qui vient de Bxl, émis par la Commission, se traduit en règlements, directives, décisions et avis).

L’UE décentre la source du droit : le droit trouve sa source en dehors des E-M, le droit de l’UE secrète aujourd’hui plus de règle que le droit des Etats. Près de 1 texte sur 2 intégré dans le droit français est d’origine européenne…

Aujourd’hui, les E-M ont à la fois leur droit propre à travers leur législation, et le droit de l’UE.

Il y a deux principes juridiques fondamentaux, qui expliquent l’imbrication entre les droits communautaire et national.

Primauté du droit communautaire : CJCE Costa c. Enel, 15/07/1964 : « les traités ont une force de droit par eux-même dans l’ordre juridique de chacun des E-M ». Le droit communautaire s’impose aux Etats

Effet direct : arrêt Vanghen c. Loos, 05/12/1963 : « les traités ont institué un nouvel ordre juridique dont les sujets sont non seulement les Etats, mais également leurs ressortissants. » Normalement, nous sommes sujets de droit de l’espace dont nous sommes les nationaux. Dès lors qu’il y a un ordre juridique européen, je ne suis pas seulement sujet du droit de mon pays d’origine, mais aussi d’un ordre européen auquel mon Etat à souscrit.

 

Ce qui permet à cet ordre juridique d’être effectif, c’est qu’il y a non seulement transposition, mais qu’on a également prévu des procédures juridictionnelles de contrôle. Les traités de l’Europe évoquent le manquement à une obligation. Les E-M doivent respecter les obligations qu’ils ont librement souscrites. Si ils ne le font pas, ils peuvent être sanctionnés.

Article 226 donne à la Commission le rôle de chien de garde : elle peut décider à tout moment d’engager une procédure contre un E-M qui manque à ses obligations, si il s’est abstenu de transposer qqch ou l’a mal transposée, ou si au sein de l’Etat une collectivité locale ou une entreprise publique manque au respect des règles communautaires.

80% des affaires n’aboutissent pas sur la saisie de la cour : le simple fait que la commission établisse un avis public signifiant le manquement suffit à rectifier le problème.

Article 227 : peu usité, permet à un E-M d’en dénoncer un autre… on a préféré laisser le sale travail à la commission.

 

Possibilité pour tout citoyen devant ses propres juridictions d’en appeler au droit européen, même pour contester son propre Etat.

 

LA CEDH

Créée dans le cadre de la Convention Européenne des Droits de l’Homme du 4 novembre 1950. Entrée en vigueur en 1953. La France a attendu 24 ans avant de la ratifier, à cause de l’Algérie… M. Poher, intérimaire président, demande la ratification par une loi du 3 mai 1974. Mitterand demande en 1981 la ratification d’un protocole qui ouvre au citoyen français la voie d’un recours individuel.

Convention EDH : considérée par la cour (arrêt Loizidou, 23 mars 1995) comme un « instrument constitutionnel de l’ordre européen ». Cette affirmation prétorienne du juge affirme l’idée que les droits des E-M du Conseil de l’Europe doivent respecter un ordre juridique qui a valeur constitutionnelle. Là est la deuxième révolution juridique !

Comment la CEDH a-t-elle travaillé ? Elle a imposé aux Etats 2 dynamiques : protection des individus (contre le droit des Etats, pour faire en sorte qu’ils soient mieux protégés), contrôle des droits des Etats.

Protection croissante des citoyens, surtout par deux articles :

Art 6 §1 : droit à un procès équitable. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal impartial et indépendant. Etablissement de droits processuels : les remèdes précèdent les droits, les procédures nous gouvernent de leur tombeau, etc.  On contrôle que la justice nationale a été rendue dans un délai raisonnable. Par exemple, la France a été condamnée pour le délai d’indemnisation du sang contaminé. Le tribunal doit être impartial : la France a été condamnée à plusieurs reprises, car le rapporteur qui instruit les affaires participait au délibéré, notamment en matière de concurrence. Le Conseil d’Etat est maintenant extrêmement vigilant à ce point.

Art 8. : dignité humaine, regroupement familial : on ne peut pas vivre de manière décente si on ne vit pas avec sa famille, a joué en faveur des étrangers. On a condamné aussi des Etats à cause de trop longs temps en zone de transit : privés trop longtemps de liberté.

Ediction d’un ordre public européen :

- contrôle de la légalité des actes et du fonctionnement des juridictions nationales

- droit européen des droits de l’homme (liberté d’expression, dignité…).  Le juge de Strasbourg considère que la Convention EDH, dès lors qu’elle a été ratifiée par un Etat, s’impose à lui et constitue une valeur quasi-constitutionnelle ! Cette convention doit s’impose aux Etats et le cas échéant les contraindre à changer leurs lois.

Au contrôle de constitutionnalité interne s’ajoute un contôle de conventionalité ! La convention EDH est utilisée pour dire à un E-M lorsqu’un citoyen a saisi la cour qu’il doit changer ses comportements. Ainsi, la France a du revoir sa législation sur les écoutes téléphoniques.

 

Deux juridictions supranationales ont imposé un ordre juridique nouveau qui place les E-M souverains en position de justiciables. Cette justiciabilité posé la question de l’Etat. Les juges européens s’assure du respect.

L’Etat est mis en question à la fois dans son concept et dans sa réalité.

 

II) Les E-N face à l’UE

L’Europe : un objet politique non identifié ?

Selon Joschka Fischer : une fédération d’Etats ? Ce n’est pourtant pas un Etat fédéral.

Il y a un organe spécial au dessus des Etats : une commission supranationale.

La plupart des Etats adoptent les décisions à la majorité qualifiée : on peut se retrouver contraint d’appliquer des décisions avec lesquelles on n’est pas d’accord

Il y enfin primauté du droit communautaire.

 

On lui fait 2 reproches : celui d’être impuissante face aux autres puissants du monde, celui d’être insuffisamment démocratique : ce n’est pas l’affaire des peuples, mais celle des experts…

Question classique : comment concilier puissance et liberté ? Derrière : tout le débat, plus fort en France qu’ailleurs : les souverainistes pensent que ça ne peut se concilier que dans l’E-N, les souverainistes pensent qu’il faut créer une véritable fédération, voire un Etat Fédéral !

 

Héritages : théologico-politique (figure du souverain), des lumières (figure de la nation et des droits de l’homme)… Habermas : il faut bâtir une nouvelle constellation politique compte tenu des véléités nationales fortes… Selon Arendt, les pères américains ont échappé au fardeau de la nation, nous nous devons vivre avec… Ignorer les traditions nationales serait commettre une énorme erreur.

 

La fédération américaine a déjà du traiter le problème : comment imaginer un ordre politique sur un espace qui dépasse les dimensions de l’Etat-nation, ou d’un Etat-membre. Il fallait bâtir une fédération aux pouvoirs limités, afin qu’elle ne devienne pas un empire, cf le système des Checks and Balances. Le fédéraliste donne les compétences principales aux Etats et limite celles de la fédération.

La fédération a le grand mérite de permettre de penser le pouvoir en évitant de faire appel à l’idée de la souveraineté. Le concept de la souveraineté est un concept-piège : le mot est très fort, mais renvoie à une vision de l’histoire aujourd’hui très contestés. La souveraineté post-nationale est-elle la bonne méthode, ou faut-il penser autrement l’Etat autrement qu’en terme de souveraineté ? C’est l’avis des pères fondateurs : la fédération repose sur deux niveaux d’autorité, la souveraineté est au niveau des peuples. Le Peuple, seul souverain, par la constitution a partagé les droits de souveraineté entre les 2 niveaux. Division des droits de souveraineté entre les 2 niveaux.

 

Emergence de la notion de la constitution européenne… Parler de constitution alors qu’il y a des traités internationaux pose problème : il faut peut être aborder le problème d’une constitution européenne de front ! Comme l’ont fait américains, les Européens ont eu recours à la procédure de la Convention. Déjà pour la Charte Européenne des Droits Fondamentaux (adopté à Nice). Evénement majeur de l’adoption de valeurs communes : on reconnaît qu’on a la même vision politique des choses.

Si cette constitution est approuvée par les gouvernements, elle devra être ratifiée : par les parlements ou par le peuple. C’est la preuve que le pouvoir constituant dans la fédération est bien non-pas celle du peuple européen (même si ce peuple a des juges communs, une monnaie commune, etc.) mais celles des peuples européens, qui ratifierons ou non cette constitution. Convergence de pouvoirs souverains pour bâtir une nouvelle organisation politique : cette constitution sera un acte de fondation, quelque chose de nouveau commencera. Ce sera aussi un acte d’habilitation limitée. La constitution européenne définira précisément ce qui revient à la fédération et les E-M. Conjugaison d’un droit de la fédération et d’un droit des Etats.

 

Ce processus pose la question de l’Etat en Europe… C’est le concept même de l’Etat qui se trouve ébranlé : bcp de citoyens finissent par se demander comment, aujourd’hui, l’Etat fonctionne.

 

Selon Ricoeur : « le site de l’Etat n’est plus clair dans la conscience des citoyens ». L’Etat aujourd’hui a plusieurs sites… Il n’est plus logé dans son seul site national. Une partie des pouvoirs étatiques sont transférés à un niveau supérieur ou inférieur. Il y a une espèce d’implosion du concept d’Etat, que beaucoup ne veulent pas voir, quand bien même l’implosion est devant nous.

Cette implosion vient d’une transformation du monde, qui conduit les gouvernements à imaginer une nouvelle constitution politique plurielle.

Dans des moments longs, incertains, contestables : la nouvelle figure de l’Etat en gestation ne va pas de soi et donne lieu à des débats politiques dans différents pays de l’Union.

Il y’aura bien une transition entre les figures anciennes des E-N et ce que Habermas appelle une constellation post-nationale… Mais on ne sait pas quand et comment cette transition. Légitimement, ce que les citoyens attendent de l’Etat, c’est qu’il leur offre un chemin, une visibilité dans un monde d’incertitude. Dans la crise politique actuelle, l’angoisse de la forme politique à venir participe du malaise qui peut habiter les peuples européens. Ce malaise est d’autant plus grand que l’Europe elle-même découvre que le monde est pluriel, qu’elle n’est plus le centre du monde. Il y a eu trois grands partages du monde qui se sont fait en Europe, entre européens… L’Europe doit se penser comme partie d’un monde dont elle n’est plus le sens. L’Etat est un imaginaire qui renvoie à une certaine vision des communautés humaines. Cette vision est troublée quand le monde est lui-même troublé.

 

 

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