Faut-il déplorer le déclin du rôle des parlements au profit des exécutifs ?

 

 

Le spectacle du fonctionnement de la III° République durant l’entre-deux-guerres est en soi éloquent : la crise économique sans précédent, augmentée des diverses tensions internationales ont exigé de l’Etat une lucidité et une rapidité auxquelles ses institutions politiques n’étaient guère préparées. Devant l’impératif d’efficacité et de réactivité, les prérogatives traditionnelles du parlement ont filé dans les mains de l’exécutif par le biais des « décrets-lois », et la discipline exigée par les circonstances a conduit au renforcement incontesté de la position du gouvernement, jusque-là malmené par un parlementarisme tout-puissant. Prélude à la modernité institutionnelle, cette configuration du pouvoir est entérinée après la guerre dans la plupart des régimes parlementaires européens: concurrencés par l’émergence du constitutionalisme, les règles internationales ou encore par les exigences liées à la trans-nationalisation de l’économie, les parlements le sont avant tout par leur ex-subordonné, le pouvoir exécutif. C’est une évolution majeure que ce déclin du rôle des parlements au profit des exécutifs, même si l’histoire constitutionnelle de régimes tels que celui de la Grande-Bretagne la relativisent, du fait de l’ancienneté de la prépondérance gouvernementale chez eux. Il importe ici de mettre au jour dans leur diversité les ressorts du renforcement de l’exécutif dans les régimes européens au détriment des parlements, afin de déterminer dans quelle mesure cette évolution se justifie. En effet, et d’autant plus à l’heure du renforcement de la construction européenne, le déclin d’institutions historiquement symboliques de la souveraineté nationale pose le problème de la légitimité démocratique dans l’Etat.

Dans un premier temps, nous justifierons le déclin du rôle des parlements au profit des exécutifs par le souci de l’efficacité, prépondérant pour les Etats modernes. Puis il faudra s’arrêter sur certaines conséquences problématiques de cette évolution, en matière notamment de démocratie.

 

I. Un déclin au service de l’efficacité

 

A. L’agencement institutionnel traditionnel et ses lacunes

 

1. La répartition traditionnelle des rôles institutionnels

 

Le parlement est institué pour consentir à l’impôt au nom de la nation. Cependant la philosophie des Lumières envisage, dans une démocratie, le parlement non comme un simple lieu de débat, mais comme un lieu de travail à part entière. Et cela parce qu’il est originellement le seul organe dont les acteurs procèdent directement du peuple. Dans cette optique, le gouvernement n’est qu’un appendice chargé d’exécuter les décisions des représentants du peuple. D’ailleurs, en régime parlementaire moniste (aujourd’hui la règle en pratique, dès lors que le chef d’Etat n’a plus nulle part de réelle latitude dans le choix du Premier Ministre, à l’exception notable de la V° République), cet organe titulaire du pouvoir exécutif, qui contrôle à ce titre l’administration du pays, est investi par le parlement et révocable à tout moment par lui.

Dès lors le parlement est placé au centre du dispositif institutionnel de l’Etat. Il remplit en premier lieu une fonction de légitimation démocratique, en tant qu’il est le lieu organisé du débat public national, et procède (pour une chambre au moins s’il est bicaméral) du peuple. Ainsi, le parlement est dans l’imagerie nationale l’institution qui concentre la légitimité démocratique. Il remplit également un rôle de recrutement et de socialisation des élites dirigeantes, appelées à faire partie de l’exécutif. Seuls la France et les Pays-Bas ont introduit l’incompatibilité entre les fonctions de parlementaire et de membre du gouvernement à ce jour ; cependant même dans ces pays, les ministres sont pour la plupart issus des rangs du Parlement (ils démissionnent de leur poste dans ce cas), et à plus forte raison dans les pays où le cumul des deux fonctions est permis. La fonction décisionnelle est bien entendu au cœur de la problématique ici abordée. Les parlements s’identifient avec la fonction législative qui constitue en principe leur mission principale. Ils préparent traditionnellement les lois, dont le soin de l’application est laissé aux gouvernements subordonnés. Subordination qui tient à la fonction de contrôle de l’exécutif dévolue aux parlements, contrôle (par diverses commissions, d’enquête, d’application des lois...) pouvant déboucher sur la mise en cause de la responsabilité politique du gouvernement par le vote d’une motion de censure.

 

2. dérives parlementaristes ; inadaptation face aux nouveaux enjeux

 

Trois types de contraintes déterminent le pouvoir du parlement et sa latitude d’action. Le cadre constitutionnel d’abord, qui le circonscrit plus ou moins dans une mission précise. La variable politique, ensuite, et notamment le système partisan structuré par la vie politique, qui influe sur la vie parlementaire selon qu’il est éclaté ou bipolarisé. Enfin, la variable procédurale (règles du travail parlementaire : durée des sessions, latitude dans le droit d’amendement etc.). 

Or l’agencement particulier de ces contraintes (système partisan éclaté, scrutin proportionnel, peu de contraintes procédurales...) a pu déboucher dans l’histoire sur des situations problématiques de monopole du pouvoir par des parlements divisés, devenant plus le théâtre de tractations partisanes incessantes que d’un travail législatif efficace. Ce fut tout particulièrement le cas sous la III° République, au sein de laquelle l’omnipotence du parlement, avalisée par la « constitution Grévy » de 1979, engendra une instabilité ministérielle récurrente. L’inexistence d’un système partisan bipolaire, qui privait chaque gouvernement d’une majorité claire sur laquelle s’appuyer, y avait sa part de responsabilité. Le problème est le même dans la I° République italienne d’avant 1994, puisque l’absolue proportionnalité du scrutin (qui ne discipline pas le système partisan)et l’inexistence d’armes crédibles pour le gouvernement face au parlement engendre une instabilité ministérielle chronique. Il va sans dire que cet usage sans retenue de leur pouvoir de contrôle sur l’exécutif par les parlementaires est nuisible pour l’accomplissement de la tâche législative qui leur incombe. C’est pourquoi il fallut, en période de crise notamment, contourner le rôle central du parlement par la délégation de ses prérogatives législatives à l’exécutif (décrets-lois).

D’autant plus que le vingtième siècle voit s’opérer une complexification croissante des affaires de l’Etat, qui n’est pas pour freiner le déclin annoncé de l’institution parlementaire. En effet, il apparaît clairement que l’exécutif, restreint en nombre, en contact avec les experts techniques de l’administration qu’il dirige, est bien plus à même de gérer les affaires efficacement et rapidement que le parlement. Le processus, initié dans l’entre-deux-guerres, de délégation de compétences du parlement vers l’exécutif va être entériné. Un déplacement du centre du pouvoir politique s’opère au sein des Etats européens.

 

B. Le renforcement de l’exécutif au détriment du parlement

 

1. motivations et mise en œuvre

 

La technicité croissante des matières gérées par l’Etat après la deuxième guerre mondiale (notamment celles liées à l’Etat-providence et à  la transnationalisation de l’économie et des règles de droit), les contraintes de l’efficacité, la nécessité d’une plus grande rapidité d’intervention et les exigences modernes de la communication sont autant de facteurs qui ont joué au détriment du pouvoir délibérant. En effet, si Rousseau tablait sur la rationalité de parlementaires travaillant à l’émergence d’une volonté générale par le débat, la réalité l’a bien vite contredit. Au sein d’une enceinte regroupant tant d’acteurs différents, les dissensions primèrent naturellement sur les points de convergence, et nuisirent à l’efficacité du travail législatif. Si la situation était gérable tout au long du 19° siècle, quand l’Etat intervenait encore peu dans la société civile (politique du « laisser-faire » économique, croyance en les vertus auto-régulatrices du progrès), la mise en oeuvre accrue de politiques publiques (surtout après 1945) exigea de l’Etat d’être à la pointe de l’efficacité.

Or la collégialité du gouvernement (instaurée dans l’entre-deux-guerres en France sous la direction du président du Conseil) l’oriente vers la recherche permanente du consensus, car l’efficacité y est la règle. L’exécutif parle d’une seule voix ; il n’est pas un lieu de débat, pas même entre chef d’Etat et gouvernement. Le chef d’Etat est en effet tenu de s’effacer devant les décisions du titulaire du pouvoir exécutif, c’est-à-dire le gouvernement, dans les régimes parlementaires modernes (plus complexe dans le cas de la France. Nous y reviendrons). Dès lors, le gouvernement apparaît bien plus à même de remplir les fonctions traditionnellement dévolues à l’appareil législatif. D’autant plus qu’il dirige l’administration centrale du pays, capitale non seulement dans la mise en oeuvre mais aussi dans la préparation des politiques publiques : les hauts-fonctionnaires mettent à disposition du gouvernement une expertise qui fait défaut aux commissions parlementaires. La présence au gouvernement de personnalités très qualifiées issues de la société civile (pratique initiée en France par de Gaulle, que l’on observe dans la composition de l’actuel gouvernement : F. Mer, L. Ferry, J.F. Mattei etc.) constitue également en soi un gage de meilleure efficacité. Ces atouts fondamentaux de l’exécutif en font une machine de gestion moderne de l’Etat, bien plus crédible que le Parlement ; c’est pourquoi on a organisé le déclin de cette institution au profit du gouvernement, qui tient au quasi-renversement de la relation effective de contrôle entre ces deux institutions.

La domestication du parlement par l’exécutif tient autant à des dispositifs constitutionnels et procéduraux qu’à la mutation de la vie politique propre à chaque Etat. C’est pourquoi les situations diffèrent d’un Etat à l’autre. Le modèle de discipline étant incarné par le système britannique, qui grâce au scrutin majoritaire à un tour a favorisé la mise en place d’un bipartisme tel que le gouvernement peut s’appuyer en théorie sur une majorité stable et soumise débarrassée des « franc-tireurs », beaucoup de régimes européens ont cherché à clarifier le jeu partisan par des mécanismes constitutionnels, dans le but de fournir à l’exécutif une protection contre des assauts parlementaires liés à des transformations indépendantes de coalitions partisanes, devenus fréquents dans des régimes tels que la III° République en France ou la I° République italienne, qui il y a encore peu de temps obéissait au rythme du « trasformismo ». C’est ainsi que la Loi Fondamentale de la RFA (1949) instaure le système du « double vote », qui associe scrutin proportionnel et scrutin majoritaire, interdit les partis qui contreviendraient aux droits fondamentaux par elle énoncés et tempère le contrôle que le parlement exerce sur le gouvernement en instaurant la motion de censure « constructive », c’est-à-dire conditionnée par l’accord de la majorité parlementaire sur la mise en place d’un nouveau gouvernement. Dans le même ordre d’idées, le scrutin majoritaire à deux tours en France (non constitutionnel), le choix du chef du gouvernement par un Président élu au suffrage universel direct et les diverses limites posées à l’exercice du droit de censure (temps de réflexion, le principe postulant que les députés absents sont favorables au gouvernement etc.) traduisent la volonté de supprimer la dépendance du pays aux vicissitudes du parlement par l’instauration d’un système partisan bipolarisé et simplifié et par la réduction de son pouvoir de renversement du gouvernement. En outre, le droit (effectif) de dissolution devient le pendant de la motion de censure, que le titulaire en soit le chef de l’Etat ou celui du gouvernement. Les effets de ce « parlementarisme rationalisé » sur la vie politique sont certes nuancés d’un Etat à l’autre. Cependant, il conduit en substance à scinder le parlement en deux camps : la majorité ne menace plus vraiment le gouvernement, peu encline qu’elle est à se saborder elle-même, tandis que l’opposition ne s’oppose plus que par le discours. La limitation du nombre des commissions permanente (six seulement en France), ainsi que l’encadrement des prérogatives des commissions d’enquête (dessaisies dès la prise en charge du dossier par la justice en France), participent également de l’apprivoisement du contrôle du parlement sur l’exécutif. Ce renversement du rapport de force entre parlement et gouvernement n’est que la condition du transfert de pouvoir qui s’est opéré entre eux.

 

2. la nouvelle répartition des tâches

 

Alors que l’élaboration des textes législatifs constitue la fonction traditionnelle du parlement, il est significatif de constater qu’à l’heure actuelle, plus de 80 % des lois sont d’origine gouvernementale dans les régimes européens, Italie et Pays-Bas exceptés.

Le déclin de la fonction décisionnelle du parlement est quantitatif, en ce que son activité législative, même lorsqu’elle reste comparable à celle du passé, est plutôt marginale par rapport à la quantité croissante de textes réglementaires, qui atteignent de surcroît un tel  niveau de technicité qu’ils sont hors de la portée du parlement. A cet égard, on note que l’administration d’Etat compte généralement plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires, tandis que les services liés aux diverses commissions parlementaires ne regroupent que quelques milliers d’agents, ce qui témoigne du fossé technique séparant les deux institutions. Ce déclin est par ailleurs qualitatif, comme on l’a déjà noté. Le gouvernement n’est plus le législateur occasionnel du temps des décrets-lois (même si le système des ordonnances art. 38 est encore usité : cf. privatisations sous Chirac du temps de Mitterrand...), puisqu’il élabore lui-même, par le biais de son administration, la plupart des textes de lois qu’il soumet ensuite au parlement. L’image d’un parlement « chambre d’enregistrement » trouve ici sa justification, d’autant plus qu’il est limité dans son droit d’amendement (en France notamment, la procédure du « vote bloqué » art. 45, ou l’interdiction des amendements aux lois de finance qui augmenteraient les charges du budget...), que le domaine de la loi peut être circonscrit (cf. en France l’article 37 de la Constitution de 1958 énumère ce qui relève de la loi, le règlement constituant le domaine de droit commun) et qu’il doit s’en tenir aux traités internationaux ratifiés par lui (cf. Union Européenne). La fonction décisionnelle du parlement est donc réduite au strict minimum, tant les lois qui émanent directement de lui sont minoritaires et peu déterminantes.

Le contrôle parlementaire ne s’exerce plus aussi fréquemment qu’auparavant, en témoigne le faible nombre de renversements de gouvernements dans les régimes ayant opté pour le parlementarisme rationalisé : en Allemagne, le changement de coalition en 1982 fit tomber le gouvernement SPD-FDP de Schmidt ; en France le gouvernement Debré subit les conséquences de l’hostilité des parlementaires au président de Gaulle, irresponsable, en 1962... En Grande-Bretagne les conflits avec le chef de la majorité sont internes au parti : cf. l’éjection de Thatcher en 1990.

Aussi le parlement est-il devenu plus le lieu de la contestation de l’opposition (cf. le shadow cabinet de la Chambre des Communes...) que du travail législatif effectif ou du contrôle du gouvernement. Cet état de fait n’est pas à déplorer en soi, puisqu’il obéit aux exigences d’efficacité modernes et permet aux électeurs de désigner une majorité claire, donc gouvernante, de laquelle pourra se réclamer le gouvernement. Ceci constitue donc également un progrès démocratique, puisque désormais les tractations partisanes hors du contrôle des électeurs sont rendues impossibles par la nécessaire discipline majoritaire.

N’arrêtons cependant pas là notre réflexion, car si le déclin du parlement au profit de l’exécutif a été rendu nécessaire par l’avènement de l’Etat moderne, cette solution ne va pas sans poser certains problèmes d’ordre démocratique, notamment dans le cadre de l’Union Européenne.

 

II. Un déclin qui pose le problème du déficit démocratique

 

A. Au niveau national

 

1. l’exécutif irresponsable ?

 

Si le souci d’efficacité qui a conduit au ré agencement du pouvoir entre institutions était en soi fondé dans l’objectif de construire un Etat capable de gérer et de seconder une société plus instruite, fluctuante et complexe, il s’avère au premier abord qu’il a quelque peu occulté l’exigence démocratique. En effet, et même si l’édification d’un système partisan minimaliste et bipolaire est en soi un gage de respect du choix de majorité exprimé par l’électorat, les outils de domestication du parlement par l’exécutif posent problème, car le parlement ne dispose pas vraiment en face d’eux d’armes crédibles. Le coup d’arrêt porté aux assauts incessants du parlement contre le gouvernement eût été rationnel dans une logique démocratique s’il avait été suivi d’une réflexion sur des règles ou méthodes de contrôle sur le gouvernement plus adaptées, mais réelles. Seulement, à la différence du congrès américain, la plupart des parlements occidentaux manquent de la capacité d’information, de conseil, d’évaluation qui sont à la base d’un contrôle effectif. Des instruments tels que la séance des questions du mercredi à l’Assemblée Nationale française (copiée sur le modèle britannique) relèvent plutôt du rituel symbolique. Non seulement la discipline majoritaire interdit le plus souvent la mise en cause du gouvernement, mais le parlement n’a même plus les moyens de s’informer pleinement sur un organe qui procède théoriquement de lui.

Nous touchons ici un point saillant de notre propos : l’exécutif procède-t-il encore en pratique du parlement ? Répondre à cette question, c’est juger en partie du caractère antidémocratique ou non du déclin du rôle des parlements au profit des exécutifs. Or il apparaît que le parlement n’investit plus le gouvernement dans sa fonction dans bien des cas. En Grande-Bretagne, nul besoin puisque le Premier Ministre est de facto élu par le peuple (chef du parti vainqueur). Idem en Allemagne, où le gouvernement n’engage sa responsabilité sur une question de politique générale que dans le but de discipliner sa majorité (cf. G. Schroëder sur la question de la participation de la Wehrmacht aux opérations militaires en Afghanistan), ou encore en France, où la légitimité du gouvernement est assurée par la nomination du Premier ministre par un Président élu au suffrage universel (lui-même cependant irresponsable ; le gouvernement n’est donc politiquement responsable en pratique que devant un personnage inamovible durant son mandat, d’autant plus que la pratique gaullienne de mise en jeu de la responsabilité présidentielle par le référendum a cessé peu ou prou dès 1969. Ici se pose le problème d’un certain déficit démocratique de la V° République).

En pratique, les gouvernements deviennent plus responsables devant l’opinion publique que devant la représentation nationale ; le contrôle est plus abstrait, mais bien réel. Le déficit démocratique perçu ne semble donc pas découler directement du déclin du rôle du parlement, puisque les responsables politiques rendent toujours des comptes devant la nation.

 

2. le problème de la technocratie

 

En fait, le déclin du rôle des parlements au profit des exécutifs pose surtout le problème de la gestion de la technicité croissante des affaires publiques : si le gouvernement apparaît comme un pôle de décision plus efficace que le parlement, il ne peut cependant prendre à sa seule charge la totalité des dossiers. Faute de temps et de compétence, il les délègue à la haute administration sous son autorité, ou à des comités d’experts. Or ces instances ne procèdent pas du suffrage universel, et n’ont à ce titre aucune responsabilité politique. En France par exemple, contrairement au spoils system américain, les titulaires des postes administratifs ne valsent pas au gré des échéances électorales ; ils travaillent dans la continuité, même s’ils doivent obéissance à leur ministre de tutelle. Les comités d’experts, tels le Conseil économique et social instauré par de Gaulle, ont un rôle consultatif d’expertise, dont les avis jouissent d’une telle autorité qu’ils exercent de facto un pouvoir réel.

La prise en charge de la plupart des affaires publiques par le gouvernement au détriment du parlement débouche ainsi sur une gestion moins transparente des dossiers qu’auparavant. La diabolisation de la technocratie, dont les acteurs constituent un sérail homogène de par leur parcours estudiantin (cf. rôle de l’ENA en France), est devenue le credo de certains partis populistes, qui déplorent par conséquent ce déclin des parlements au profit des exécutifs.

 

B. Le problème spécifique de l’Union Européenne

 

1. le « déficit démocratique de l’Union »

 

L’un des objectifs de la Convention sur l’Union européenne de 2002-2003 est de pallier un certain déficit démocratique ressenti par les citoyens communautaires à propos des institutions actuelles. Qu’en est-il exactement ?

Jusqu’en 1979, le Parlement européen est constitué de délégations de parlementaires nationaux. Cette configuration ne faisait pas de l’institution strasbourgeoise le réel porte-parole des intérêts des citoyens de l’Union, car la prégnance des différentes échelles (et intérêts) nationales en son sein s’opposait en pratique à une réflexion sur des enjeux communs. Aussi le peu de poids du Parlement européen dans les prises de décision était-il en quelque sorte justifiée, d’autant plus que les questions relevant de l’Union étaient encore marginales par rapport à aujourd’hui. Il est cependant devenu problématique depuis 1979, date à laquelle les représentants européens commencèrent d’être élus au suffrage universel direct, certes encore dans des circonscriptions nationales. Car la légitimité de ces parlementaires s’en trouvait dès lors accrue, sans que leur pouvoir de décision ne s’en voie augmenté. Les exécutifs nationaux, réunis en Conseil Européen ou en divers Conseils des Ministres, gardent la mainmise sur  les affaires communautaires (même si le Traité d’Amsterdam en 1997 a augmenté les cas de codécision Conseil/Parlement). Le citoyen ne peut que constater le peu de prise qu’il a sur des questions qui, pourtant, le concernent de plus en plus ; c’est ainsi qu’apparaît le problème du déficit démocratique de l’Union.

Car ce problème d’échelle européenne s’articule avec celui, plus national, du déclin des parlements au profit des exécutifs : les exécutifs nationaux prennent en charge les affaires communautaires sans y associer outre-mesure le Parlement Européen ; or, s’ils sont de moins en moins contraints par leurs propres parlements nationaux, quel contrôle le citoyen peut-il réellement avoir sur les décisions ? Le Protocole inséré dans le Traité d’Amsterdam tente de régler ce problème : il impose aux gouvernements de communiquer dans un délai de six semaines maximum les propositions législatives de la Commission, destinées à être débattues puis adoptées en Conseil, aux parlements nationaux. Cependant les avis émis par les parlements ne lient pas les gouvernements, bien que les législations nationales soient ensuite tenues de ne pas contrevenir aux normes émises par l’Union. Et l’argument consistant à rappeler que les Traités de l’Union sont ratifiés par les parlements ne tient pas vraiment, si l’on prend en compte la double pression qui pèse sur les parlementaires lors de cette ratification : le phénomène majoritaire d’une part, la volonté de ne pas déclencher une crise frappant toute l’Union de l’autre. Autre concours d’association des parlements nationaux au processus décisionnel communautaire, la reconnaissance de la COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, dont la première se tint à Rome en 1990) par le Traité d’Amsterdam, qui reconnaît à cette réunion de parlementaires nationaux le droit de se saisir de toute question législative de l’Union pour émettre des avis consultatifs à la Commission. Si cet effort apparaît minime, certains voient dans la COSAC l’embryon d’une deuxième chambre du Parlement Européen, celle des Etats, qui s’assumerait en tant que telle et réduirait peut-être le sentiment de déficit démocratique chez les citoyens.

Notons qu’en l’état actuel des choses, rien ne permet de dire si ce déficit peut un jour être comblé. Il convient seulement de faire le lien entre ce déficit et le déclin du rôle des parlements au profit des exécutifs.

 

2. le souci d’efficacité qui sous-tend ce déficit

 

Il est hors de propos ici de juger du caractère fondé ou non de ce sentiment d’un déficit démocratique dans le fonctionnement de l’Union. On pourra cependant préciser que l’actuel système institutionnel fut élaboré dans le souci de concilier efficacité et respect de la souveraineté des Etats membres. En effet, si l’on part du principe que chacun d’entre eux doit garder un certain contrôle sur la mise en oeuvre des compétences par lui déléguées à l’Union (notamment par le principe du vote à l’unanimité, encore utilisé pour les questions les plus cruciales), la prépondérance des exécutifs se justifie dans une logique de rendement. On imagine le caractère ingérable d’une assemblée de représentants des Etats membres devant statuer à l’unanimité sur des sujets sensibles...

Les parlements nationaux sont donc écartés en amont (contrôle peu efficace sur les gouvernements) comme en aval (rôle consultatif marginal) du processus de décision de l’Union Européenne. Leur déclin au profit des exécutifs se répercute donc à l’échelle supranationale.

 

 

 On l’a vu, le déclin des parlements au profit des exécutifs est sous-tendu par l’exigence d’efficacité, centrale dans les Etats modernes. En effet, leur action sur la société s’est largement complexifiée au cours du vingtième siècle, révélant ainsi les limites de la prééminence d’un parlement parfois déchiré par des luttes partisanes intestines. D’aucuns déplorent cette évolution, car la marginalisation du parlement conduit à une gestion plus technocratique des affaires publiques, ce qui pose le problème du déclin démocratique, tant au niveau national qu’à l’échelle européenne. Il faut cependant se garder de tirer trop hâtivement des conclusions alarmistes : quel que soit le degré de domestication du parlement, celui-ci conserve toujours sa prérogative fondamentale : pouvoir faire tomber tout gouvernement qui contreviendrait aux principes pour lesquels les citoyens l’ont élu.

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