Le défi des totalitarismes en Europe au XXè siècle
La WW1 ouvre une nouvelle phase
historique : effet au-delà de la fin de cette guerre. Les contemporains, sur
l’instant, se rendent compte des modifications subies par les régimes
politiques : révolution russe (1917), victoire de Mussolini (1922), victoire de
« Monsieur Hitler » (1/1933) . Essai pour caractériser ces régimes : quels mots
employer ? Quelles notions ? Quels termes ? Deux mots vont surgir :
-dictature : semble caractériser
ce qui se passe en Russie, ce que Musso instaure peu à peu, ce qu’Hitler
instaure rapidement, mais ça parait insuffisant. Une dictature, juridiquement,
est souvent un régime transitoire et légal qui tend à se perpétuer. Alors que
ces régimes ne sont pas tous légaux, et encore moins transitoires. Le mot va
être abandonné.
- tyrannie (notion proposée par
Elie Halévy, prof à Sc Po). Difficulté de penser la nouveauté. Il s’intéresse
aux transformations de l’après WW1 dans les sociétés européennes. Etatisation
économique, mobilisation de la main d’œuvre inédite (tend à se perpétuer devant
la paix), Etatisation de la pensée (suppression pdt la WW1 des « dissidents »,
interdiction de publier, continué en Russie et Italie), organisation de
l’enthousiasme collectif. C’est pourquoi il propose « tyrannie », car la
tyrannie au sens grec du terme, indique des régimes qui ont tendance à se
perenniser. Il n’a pas été entendu, le mot « tyrannie » ne s’impose pas, malgré
que tout était dans ses analyses.
I. Approches du totalitarisme
Le mot : Légende : le mot n’est
pas inventé au lendemain de la WW2, il n’est pas un concept de guerre froide,
surtout en France, au service de l’anticommunisme.
L’adjectif « totalitaire »
apparaît en 1923 parmi les antifascistes libéraux et démocrates, socialistes,
catholiques italiens, pour définir le régime de Mussolini. « tout dans l’Etat,
rien en dehors de l’Etat, rien contre l’Etat. » (Mussolini). On ne cesse en
Europe occidentale de réfléchir sur le totalitarisme pour essayer de définir ce
qui se passe aussi bien en Allemagne qu’en Italie et même en URSS. Après la WW2,
cela devient un véritable concept, dont l’originalité provient de ce qu’il
cherche à mettre en évidence les points communs et les différences de régimes
qu’a priori la guerre a opposé.
1. trois grandes acceptions du
totalitarisme
a) à partir de critères
d’identification
On s’appuie sur deux auteurs :
Carl Friedrich et Zbiniew Brezinski, ouvrages sur les régimes totalitaires dans
les années 50, polonais pdt la guerre, vivent aux USA ensuite.
Il s’agit de vérifier si les
régimes totalitaires correspondent à un certain nombre de critères :
- idéologie officielle
- parti unique
- monopole par ce parti de
l’usage de la violence (cf Weber)
- monopole de l’usage des médias
- contrôle de l’économie et de
la société
- terreur
On est dans le statique, on fait
une photographie : on ne comprend pas d’où vient le régime, on se prive de
comprendre les évolutions, on identifie simplement le régime.
b) Comme un idéal-type
Démarche de la sociologie
Weberienne : à partir d’un certain nombre d’éléments de la réalité, on construit
un idéal-type, une forme idéale de la réalité, qui va servir à mesurer la
réalité. Idéal-type du totalitarisme se fonde +/- sur les critères susdits, mais
on cherche à comprendre à partir de là à quel moment un régime a pu le
plus se rapprocher de cet idéal.
En France : Raymond Aron. Il construit un idéal-type de totalitarisme, il nous
dit : à certains moments, l’Allemagne hitlérienne approche de cet idéal type
(1935-45), à certains moments de l’URSS (Staline), etc. On ne fige pas les
choses, on essaie de comprendre des moments où un régime se rapproche le plus de
la représentation idéale.
c) comme une étude
phénoménologique
Il s’agit de comprendre les
formes, la nature, la signification du totalitarisme. 3 auteurs peuvent être mis
ici : Arendt, Lefort, Furet.
Il est intéressant de comprendre
la dynamique du totalitarisme : comment cela se forme et se développe. C’est ici
l’acception retenue dans ce cours. La question que l’on peut se poser :
comprendre pourquoi en Europe occidentale on a pu avoir un syndrome totalitaire,
pourquoi ça a pu surgir en Europe.
2. trois exemples
d’interprétation du phénomène totalitaire
a) Hannah Arendt
Spécialiste du régime Nazi et
Stalinien… Mais elle a commencé par une interrogation phénoménologique.
Son idée : le totalitarisme
émerge en Europe parce que l’on passe de sociétés structurées en classes
sociales à des sociétés de masses : « des masses désolées, apathiques, dénuées
d’intérêts communs, haïssant l’ordre établi ». Les individus sont atomisés, ils
haïssent les élites. C’est le phénomène de la modernité. Cette analyse
est très fréquemment reprise et appliquée à nos sociétés actuelles. C’est une
démarche très philosophique. Ce qu’elle appelle « la populace en mouvement »,
qui se cherche un chef, peut paraître très séduisant. C’est une explication
philosophique et historique.
Toutes les études historiques
montrent que cette interprétation est erronée. Le Nazisme s’est développé avant
tout dans des catégories sociales bien structurées. Ce n’est que dans l’ultime
moment qu’il a fait sa percée parmi les chômeurs.
En revanche, tout ce qu’elle dit
sur les mouvements totalitaires, les partis politiques, est tout à fait
intéressant : elle montre l’importance de la propagande, qui crée une sorte de
monde illusoire. Tout serait de la faute de quelques responsables (les juifs
etc.). On peut rêver à un monde supérieur : c’est l’illusion que provoque le
monde totalitaire.
Elle écrit de nombreuses pages
sur le chef : il défend contre les agressions extérieurs, il relie le parti au
monde extérieur. Elle montre l’importance du culte autour du chef.
Les mouvements totalitaires
inventent l’ « ennemi » en politique : il n y a pas d’adversaire, mais des
ennemis à éliminer : « qui n’est pas avec nous est contre nous ». C’est un
indice fondamental du syndrôme totalitaire.
b) Claude Lefort
A beaucoup réfléchi sur le
communisme. Ce qui l’intéresse nous intéresse aussi, c'est-à-dire de savoir
pourquoi il peut y avoir au cœur de la démocratie le phénomène totalitaire
communiste. Son idée, c’est que la démocratie suppose la division Etat/société
civile. C’est un principe contradictoire, difficilement supportable : le pouvoir
émane du peuple, mais il n’est le pouvoir de personne. Le pouvoir en démocratie
est un lieu vide, c’est la grande différence avec l’Ancien Régime (le pouvoir
est organisé comme un corps). Or, régulièrement, il y a des forces qui veulent
occulter cette division, réduire cette conflictualité, qui rêvent d’unifier la
société contre un petit groupe, qui veulent établir le « Peuple-Un ». Il est
extrêmement difficile d’accepter l’institutionnalisation du conflit. Lefort
recourt à une formule de Soljenitsyne : « Le pouvoir du totalitarisme, c’est
l’égocrate » (le pouvoir du moi). Louis XIV : « Le pouvoir c’est moi ».
Staline : « Le pouvoir et la société c’est moi ».
La démocratie introduit du
conflit, des forces cherchent à les résoudre en permanence.
c) François Furet
Réfléchit à la fois sur le
communisme et le fascisme. Il dit que dans les sociétés européennes, l’un et
l’autre représentent des mouvements révolutionnaires, engendrés par la première
guerre mondiale, tous les deux acceptent le recours à la violence, veulent
l’utiliser, haïssent la démocratie, la bourgeoisie, « le bourgeois »,
privilégient le collectif sur l’individu, acceptent l’obéissance
inconditionnelle au chef. Par conséquent, les deux régimes relèvent de mouvement
totalitaires au cœur des sociétés européennes, ils se situent à la croisée de
deux mouvement qui caractérisent au moins la première moitié du siècle en
Europe.
Lenine : révolution dans cadre
du Marxisme et de l’internationalisme
Mussolini : révolution dans le
cadre de la Nation.
Ils développent des solutions
simples au problèmes les plus compliqués. La solution la plus simple : la
guerre.
Il note aussi des divergences.
- idéologiques : le fascisme en
appelle à la Nation, le communisme à l’internationalisme.
- Rapport différent à la
démocratie : ils la détestent, mais pas de la même façon. Fascistes : pour
établir un régime dictatorial permanent (en + : inégalité des races chez les
nazis). Communistes : détestent la démocratie « bourgeoise », mais veulent
établir un régime idéal du point de vue démocratique un jour. Cet horizon
d’attente introduit une grande différence : on est hostile à la démocratie au
nom de la démocratie. Dans les régimes communistes et les PC : divergences au
nom de la démocratie.
Fascisme = négation de la
démocratie, communisme = perversion de la démocratie
II. Les dynamiques totalitaires
en Europe
Ce qui nous intéresse ici, ce ne
sont pas les régimes.
Il faut penser à la polarisation
des symboles : dans l’entre 2G : à ces foules qui défilent symbolique, en
tendant le bras (fascistes) ou en dressant le poing fermé (communistes). Grands
rassemblements, mise en scène. Il a fallu trouver une réponse chez les
antifascistes, surtout chez les communistes.
A. fascisme et nazisme
- crise de l’ordre social
Brutalisation des sociétés :
radicalisation, émergence de nouvelles catégories sociales, qui prétendent se
substituer aux anciennes élites. On ne peut comprendre cet ébranlement des
sociétés que si on le rapporte à la crise du politique.
L’Europe sort de la 1ère
GM avec un problème : comment intégrer les masses qui ont fait la guerre à la
vie politique ? D’une certaine façon, le fascisme et le nazisme sont une réponse
à cette question : ils forgent des partis de masse, organisent la mobilisation,
proposent des solutions, apparaissent par leur existence-même comme donnant plus
la possibilité de participer à la politique que les institutions démocratiques.
Illusion : avec ces partis, la politique devient une nouvelle religion. Pensons
au film de Torescola « Une journée particulière » : on n’échappe plus à la
politique, elle est systématiquement présente.
Ceci est en général assez connu,
attardons-nous plus aux cocos.
1. la question du communisme en
europe occidentale
Il ne fut jamais au pouvoir,
simplement d’opposition, attire une partie de l’opinion publique européenne.
Est-ce aussi une expérience de mouvement totalitaire minoritaire ? cf en France,
1 français sur 4 vote communiste de 45 à 58.
On peut répondre oui, pour au
moins 4 raisons
- tous les PC appartenaient à un
ensemble international. Ils ont certes pris des distances par rapport à l’URSS
dans les 60’s, mais sous Staline ils approuvent tout ce qui se passe
- mode d’organisation :
structures de partis très spécifiques, très militarisés, le pouvoir du chef
(homme infaillible), une exigence de contrôle total des adhérents
- projet clair : d’abord
instaurer la dictature du prolétariat puis évolution, mais avant tout faire le
bonheur des peuples par la politique : nécessité de l’utopie. Cela consiste à
s’attaquer non pas aux conditions politiques, sociales, économiques, dans
lesquelles les hommes évoluent, mais à changer les hommes eux-mêmes.
- Rapport très compliqué à la
démocratie. 20’s – mi 30’s : hostiles à la démocratie. A parti de mi 30’s : se
présentent comme partis démocrates, anti fascistes, souhaitent améliorer la
démocratie, mais approuvent ce qui se passe dans les pays de l’Est…
Contradiction.
Pourquoi l’échec en France, en
Italie, en Europe du Sud ? 2 explications :
- puissance du sentiment
anticommuniste : nous l’avons trop négligé, Europe terrifiée par le communisme.
Il y a eu une peur sociale, les gens veulent défendre leur propriété. Peur
spirituelle, selon confessions religieuses. Anticommunisme libéral,
conservateur, socialiste… cf Gui Mollet en France : « ils ne sont pas à gauche,
ils sont à l’Est ». Cela continue à jouer : Berlusconi en 2001 à faire de
l’anticommunisme un argument électoral
- l’acculturation par la
pratique démocratique. Les PC acceptent de jouer le jeu de la démocratie, se
présentent au suffrage universel : acceptent le principe du 1 électeur/1 vote,
le principe des vainqueurs/vaincus, des élus qui doivent agir et rendre des
comptes. Progressivement, en acceptant le principe du suffrage universel, de
participer à la compétition politique, les régimes démocratiques réussissent à
acculturer, à atténuer le syndrome totalitaire communiste. Ils contaminent
démocratiquement les PC. Cf Thorez début 20’s, à Moscou : « la France
est infestée par la démocratie ». La raison démocratique a étouffé le syndrome
totalitaire. C’est un motif de reflexion optimiste sur la démocratie en Europe.
Conclusion :
Deux tentations totalitaires en
Europe Occidentale : extrême droite et extrême gauche. Fascisme/nazisme
triomphent, communisme reste dans l’opposition. Conséquence :
- antifascisme fait plus
consensus que l’anticommunisme
- décallage entre l’Europe de
l’Ouest et de l’Est. A l’Est, on pense communisme et fascisme, à l’Ouest, on
pense fascisme, quand on évoque le totalitarisme. A l’Ouest, le communisme reste
un espoir.
Sommes-nous immunisés ? Sans
doute, sous leur forme historique, fascisme et communisme sont terminés. Mais n
y a-t-il pas d’autres formes du contrôle total des opinions ?