Coopération locale et intercommunalité

 

Des relations de coopération s’établissaient déjà, naturellement, entre paroisses et communes de l’Ancien Régime, de même qu’intendants de provinces ou, par la suite, préfets des départements collaboraient spontanément. L’Etat, qui manifeste souvent une certaine méfiance devant l’établissement d’organisations structurées de collectivités locales qu’il ne contrôle pas, s’est longtemps montré hostile à l’égard de ces formes de coopération locale mais n’a pu les interdire effectivement. Dès 1871, la IIIème République inverse la tendance en préparant le terrain à une avancée réelle des libertés locales. Mais ce n’est véritablement qu’avec la Vème République, dans un double objectif de modernisation administrative et d’aménagement du territoire, que l’Etat entreprend, avec un succès variable, des réformes successives pour inciter à la coopération locale.

Celle-ci est alors progressivement renforcée par la dynamique d’intégration européenne ; le rapporteur de la loi d’orientation du 6 février 1992 sur l’administration territoriale de la République (ATR) affirmait en ce sens que la fragmentation du territoire en multiples entités administratives « ne saurait plus être tolérée au moment où un nouveau stade de la construction européenne va mettre toutes les structures de notre pays en concurrence avec celles de partenaires qui ont déjà su accomplir la mutation de leur administration territoriale. »

Aussi, après les diverses réformes envisagées ou mises en œuvre, la coopération locale est apparue comme la formule la plus adaptée à la nécessaire réforme de l’Etat dans le domaine de l’administration du territoire. Mais, est-elle une réponse suffisante à la tension qui existe entre l’exigence d’une gestion administrative efficace et le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales (art. 72, alinéa 2 de la Constitution)? Permet-elle de concilier efficacité de gestion et démocratie de proximité ?

En effet, si la coopération locale constitue une solution pertinente aux problèmes de l’administration du territoire, les velléités de rationalisation administrative se heurtent à de multiples difficultés, auxquelles la seule coopération locale en l’état actuel des choses ne peut remédier…

 

 

 

I/ Une solution pertinente

 

Si les Français se montrent hostiles à toute politique qui porterait atteinte à l’identité et à l’autonomie communale, et, si le législateur se refuse à opérer des distinctions entre collectivités locales d’une même catégorie, la solution aux problèmes posés par le découpage administratif du territoire semble alors consister à faire coopérer entre elles ces collectivités pour la gestion d’affaires communes.

 

A. Les problèmes récurrents du découpage territorial

 

1) L’émiettement communal français

Hérité de la Constituante, le découpage communal français est une exception en Europe par le nombre de communes (plus de 36.400) et par leur petite taille. La France représente à elle seule 47% des communes de l’UE. Parallèlement à l’émiettement communal, la part des très petites communes dans l’ensemble des structures communales s’est accrue au cours du XXème siècle, du fait de l’exode rural : aujourd’hui, 30% des communes comptent moins de 200 habitants contre 12% il y a un siècle.

Dans ce contexte, les lois de décentralisation de 1982, qui ont étendu les compétences des communes, ont remis à l’ordre du jour, de manière plus aiguë, le problème de la capacité des administrations communales à assumer pleinement et dans les meilleures conditions possibles les nouvelles compétences dévolues. Mais le poids sociologique, fondu dans l’« esprit de clocher » et l’attachement à l’identité communale, freine souvent les initiatives étatiques de rationalisation du territoire.

Ce poids sociologique des entités communales a servi l’émergence de la figure du maire, particulièrement influente dans un pays dont les représentants aux différents niveaux de pouvoirs publics locaux sont restés majoritairement ruraux. Les élections municipales sont celles qui ont le taux de participation le plus élevé avec l’élection présidentielle. Le maire, autorité communale, exerce aussi des fonctions au nom de l’Etat, ce qui renforce son identification comme échelon de recours et de médiation. C’est pourquoi il est l’élu auquel s’adressent spontanément les citoyens…  

On en conçoit la difficulté éprouvée par l’Etat dans sa constante recherche d’un compromis entre impératifs de gestion locale et principe de libre administration des communes.

 

2) L’impératif de rationalisation de l’administration territoriale

La taille extrêmement réduite d’un grand nombre de communes pose le problème de la capacité financière des municipalités à répondre aux attentes des citoyens et à assumer pleinement leurs compétences. Plus le territoire est morcelé en de multiples entités communales, plus les moyens dont celles-ci disposent sont restreints. En outre, les équipements collectifs qu’il s’agit de créer pour subvenir aux besoins des administrés supposent d’être amortis par la fréquentation d’une population suffisante. Il existe ainsi une certaine incohérence dans la gestion administrative du territoire, en termes d’inégalités de ressources et de pression fiscale : tandis que des communes « riches » construisent des équipements collectifs sans se soucier des taux de fréquentation, d’autres ne peuvent satisfaire les exigences des citoyens. Ces incohérences mettent clairement en évidence la nécessité d’une rationalisation de l’administration territoriale.

Parallèlement, la taille des départements est aussi critiquée comme ne répondant plus aux exigences d’une administration efficace. Sous l’effet de mutations économiques, culturelles et sociologiques, les territoires du réel ne cessent de s’agrandir et de se recomposer, tandis que les territoires du politique peinent à adapter les limites géographiques de leurs pouvoirs à ces mutations profondes. Dès les années 1960, la maîtrise de la croissance des grandes villes s’impose comme un enjeu de première importance. Dans ce contexte, l’intercommunalité est apparue comme l’une des solutions possibles. En effet, le développement de la croissance urbaine et le phénomène d’agglomération, qui rendent vaines toutes les limites administratives entre des communes au tissu urbain continu, nécessitent une gestion concertée des communes limitrophes, notamment en matière de transports et d’acquisitions foncières.

Enfin, le processus d’intégration européenne a poussé les Etats-membres à réformer leur administration territoriale afin de contribuer à l’homogénéisation du territoire de l’UE. La France a donc été amenée à mettre en œuvre une politique d’incitation à la coopération locale dans l’objectif d’adapter ses structures administratives au modèle européen.

 

3) L’option de l’intercommunalité

Après avoir tenté d’adopter une politique de regroupement autoritaire, l’Etat a mis en place dès 1959 des mesures visant à faciliter les fusions de communes. En 1971, la loi Marcellin sur les fusions, les fusions-associations et regroupements de communes, tente d’accélérer les fusions de communes, notamment par la promesse de dotations d’équipements accrues. Cette loi ne parvient cependant qu’à réduire marginalement le nombre de communes entre 1971 et 1977 et, dès 1978, ce nombre recommence à augmenter sous l’effet de « défusions ».

Dès lors, le concept d’intercommunalité s’impose comme la solution la plus pertinente pour pallier à l’émiettement communal en particulier. En effet, la coopération intercommunale repose, depuis le départ, sur le volontariat des communes et n’aboutit pas à leur suppression. Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) tiennent leurs compétences des communes et de la volonté des élus municipaux. La coopération locale valorise donc cet échelon de proximité qui est de toute évidence plébiscité par les citoyens. L’intercommunalité représente souvent le seul moyen pour des communes dont la population et les moyens sont restreints, d’assumer l’intégralité de leurs compétences et de respecter des normes de sécurité en évolution constante (en matière d’environnement, notamment). Elle donne également la possibilité d’assurer un dynamisme sans lequel la survie des petites communes ne serait plus assurée en leur permettant de dégager des marges d’investissement.

 

 

B. Une palette de solutions proposées

 

La coopération locale peut s’effectuer selon différentes modalités… Il s’agit principalement de l’intercommunalité, pour laquelle il existe, outre les formules traditionnelles de coopération, des formes d’intercommunalité plus intégrée instituées par la loi ATR de 1992. Mais il existe parallèlement d’autres formes de coopération locale.

 

1) L’intercommunalité : les formules traditionnelles de coopération

En application des textes de 1959 et de 1966, les formules traditionnelles de coopération sont au nombre de trois, les syndicats de communes, les districts et les communautés urbaines.

Les syndicats de communes apparaissent dans la loi du 22 mars 1890. La formule du syndicat a alors connu un très grand succès : tout en permettant de réaliser des infrastructures publiques, le syndicat sauvegarde l’autonomie communale et la liberté de gestion des communes-membres. Il existe deux types de syndicats de communes depuis une ordonnance de 1959 : les syndicats intercommunaux à vocation unique (SIVU), qui ne peuvent gérer qu’un seul service public et les syndicats intercommunaux à vocation multiple (SIVOM), qui peuvent prendre en charge plusieurs services. Le syndicat de communes présente quatre caractéristiques qui le distingue des autres EPCI et en fait l’une des formules de regroupement les plus souples : créé à l’initiative des communes, il est spécialisé, repose sur le principe d’égalité des communes-membres et ne peut lever l’impôt.

Les districts sont instaurés par une ordonnance de 1959, ordonnance « tendant à instituer des districts urbains dans les grandes agglomérations ». Le but était initialement de trouver une formule adaptée au phénomène urbain consécutif à l’exode rural et à la constitution d’agglomérations. En outre, le district se caractérise par des compétences obligatoires, que les communes doivent abandonner. De même, il se distingue du syndicat de communes puisqu’il peut bénéficier d’une fiscalité propre en levant des contributions directes. Les districts occupent une place intermédiaire dans la palette de formules de coopération proposées : à mi-chemin entre les structures plus intégrées comme les communautés urbaines ou les communautés de villes et les structures plus souples que sont les syndicats.

La communauté urbaine, créée par la loi du 31 décembre 1966, représente la modalité la plus intégrée des formules traditionnelles, celle qui porte le plus atteinte à l’autonomie des communes. La communauté urbaine a été instituée pour maîtriser la croissance des grandes villes. Elle se distingue des EPCI plus classiques en tant qu’elle se veut mode d’administration d’agglomérations, qui se superpose à celui des communes, sur un modèle beaucoup plus proche du fédéralisme que de la simple association de communes, ce que traduit le terme communauté, censé donner aux habitants des différentes communes-membres un sentiment d’appartenance à une entité unique. La communauté  urbaine se caractérise aussi par un nombre important de compétences. La communauté a en outre une véritable autonomie fiscale : elle perçoit de plein droit une fiscalité propre assise sur les quatre taxes locales directes. Ses règles de fonctionnement sont similaires à celles des communes, renforçant l’image de « grande commune ».

 

2) Nouvel élan à l’intercommunalité et autres formes de coopération locale

La loi d’orientation relative à l’administration territoriale de la République (ATR) a contribué à reposer la question de l’intercommunalité et a créé deux nouvelles formes de regroupements intercommunaux : les communautés de villes et les communautés de communes. Le but de ces nouvelles communautés est de fédérer des communes autour de projets communs liés à l’aménagement de l’espace et au développement économique. La coopération locale a donc évolué d’une logique syndicale à une intercommunalité de projet. Elle s’est, en outre, modifiée pour devenir peu à peu plus intégrative.

La communauté de communes « a pour objet d’associer des communes au sein d’un espace de solidarité en vue de l’élaboration d’un projet commun de développement et d’aménagement de l’espace » (art. 71 de la loi du 6 février 1992). Elle constitue la modalité de coopération la plus choisie par les groupements qui se constituent… La souplesse du régime institutionnel de ces communautés de communes, ainsi que le choix des compétences à transférer expliquent sans doute en partie ce succès. Les communautés de communes sont des groupements à fiscalité propre, c’est-à-dire qu’elles sont dotées du pouvoir fiscal en ce qui concerne les quatre taxes directes locales : elles votent elles-mêmes le taux de ces impôts. Les communautés peuvent en outre, si elles le souhaitent, instituer une taxe professionnelle de zone.

Pour la communauté de villes, devenue par la loi de 1999 « communauté d’agglomération », un seuil de 20.000 habitants est imposé aux communes. Les buts de cette nouvelle forme de coopération sont de favoriser l’intégration des communes, l’aménagement de l’espace et le développement économique. L’intégration est en effet très forte, du fait des compétences qui sont transférées, du régime fiscal et de l’impossibilité pour les communes de se retirer de la communauté. A la différence des communautés de communes, le contenu des compétences transférées aux communautés de villes est imposé par la loi. La communauté de villes est obligatoirement dotée du régime fiscal de taxe professionnelle d’agglomération (TPU : taxe professionnelle unique), avec un taux unique sur tout le territoire communautaire. Ce taux n’est plus voté par les communes mais par la communauté qui en perçoit le produit. La communauté de villes a rencontré un succès plus restreint que les communautés de communes, relativement plus souples.

Les communes ne constituent pas le seul niveau d’administration susceptible de faire l’objet d’une coopération entre collectivités territoriales.

Une loi de 1871 prévoyait déjà le principe de coopération interdépartementale où des « intérêts communs à plusieurs départements » pouvaient être gérés par une conférence où chaque département était représenté. La loi de 1992 modifie la loi antérieure et précise que les institutions ou organismes interdépartementaux sont constitués, sur la base du volontariat, par deux ou trois départements, même s’ils ne sont pas limitrophes. Ces regroupements sont dotés de la personnalité civile et de l’autonomie financière.

Les syndicats mixtes regroupent des personnes morales de statut différent, mais qui sont toutes des personnes morales de droit public : des collectivités territoriales (communes, départements et régions), leurs groupements (sous toutes leurs formes) et diverses catégories d’établissements publics, principalement des chambres consulaires (chambres de commerce et d’industrie, d’agriculture ou des métiers). En ce sens, cette forme de coopération appartient à la coopération verticale. Ils permettent à des partenaires de statut différent de collaborer à des activités ou des projets d’intérêt commun.

 

3) Simplification et renforcement de l’intercommunalité

La multiplication des formes de coopération locale a brouillé la carte de l’intercommunalité. Les différentes formes d’EPCI semblent s’être simplement ajouter les unes aux autres, sans toujours bien se distinguer les unes des autres. Aussi la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale a-t-elle tenté de clarifier le « maquis institutionnel » de la coopération locale. Elle a ainsi simplifié le paysage intercommunal autour de trois formes au 1er janvier 2002 : la communauté urbaine (aires de plus de 500.000 habitants), la communauté d’agglomération dans les aires urbaines de plus de 50.000 habitants et la communauté de communes. La loi a en outre définit le principe selon lequel il est impossible pour une commune d’appartenir à plusieurs structures à fiscalité propre.

Cette réforme s’imposait d’autant plus que l’intercommunalité suscite un intérêt croissant de la part des élus. En effet, les EPCI se multiplient à un rythme particulièrement rapide depuis quelques années. Selon le bulletin d’informations statistiques de la DGCL, au 1er janvier 2002, les trois-quarts des communes sont membres de l’une des 2.174 structures de coopération intercommunale à fiscalité propre. Dans ces communes, vivent 45 millions d’habitants, soit les trois-quarts de la population. Les 120 communautés d’agglomération et les 14 communautés urbaines regroupent à elles seules près de 22 millions d’habitants. Simultanément, les communautés de communes continuent à se renforcer et constituent désormais la structure de base de la coopération intercommunale. Enfin, on note la progression de la taxe professionnelle unique, relancée par la loi de juillet 1999, qui a été adoptée par 743 EPCI. Ces établissements abritent près de 30 millions d’habitants, soit la moitié de la population de la France : c’est une multiplication par sept en trois ans.

 

 

II/ La coopération locale face à de nouveaux enjeux

 

Si la coopération locale parvient relativement bien à compenser le manque de cohérence et d’efficacité du découpage administratif français, elle pose néanmoins de nouveaux problèmes et doit faire face à de nouveaux enjeux.

 

A. Le problème de la légitimité démocratique des structures de coopération

 

1) L’enchevêtrement des formes de coopération : un problème de lisibilité

L’existence de nombreuses formes d’EPCI entretient un certain flou dans les dispositions juridiques de coopération, et ce malgré la réforme de 1999. Cet « émiettement juridique » - qui semble succéder à l’émiettement communal, affecte la lisibilité et la transparence de la coopération locale. Ce déficit de clarté va à l’encontre d’une certaine exigence citoyenne en faveur d’une démocratie de proximité effective ; les citoyens revendiquent bien souvent davantage de lisibilité et de transparence dans la gestion des affaires publiques.

En outre, la coexistence de nombreuses formes d’EPCI sur des périmètres variables entraîne un enchevêtrement complexe de compétences et de périmètres, qui nuit à la rationalisation des compétences que toute coopération intercommunale se fixe aujourd’hui pour objet, et qui nécessite des dispositifs complexes de coordination entre les différents EPCI concernés. Parmi ceux-ci, le dispositif de représentation-substitution est particulièrement significatif de ce problème : selon ce dispositif, un EPCI à fiscalité propre représente et remplace les communes de son périmètre au sein des EPCI préexistants (sans fiscalité propre) dont ces communes font partie avec d’autres communes, qui, elles, ne font pas partie de son périmètre.

Si l’on prend en compte les syndicats intercommunaux, toutes les communes françaises appartiennent au moins à un EPCI et, en moyenne, à 5,4 EPCI. Cette superposition des structures de coopération brouille la carte de l’intercommunalité et il a fallu attendre la loi de 1999 pour que soit entreprise une simplification du paysage intercommunal. Cependant, les transformations prévues par la loi se font progressivement : aussi le « maquis institutionnel » qui semblait caractériser la coopération locale avant 1999 reste encore une réalité sur le terrain.

 

2) Un déficit démocratique

Le renforcement des compétences des collectivités territoriales, lorsqu’il se fait dans le cadre d’EPCI, implique la recherche d'une plus grande légitimité démocratique. En effet, la création d’EPCI semble aujourd'hui limiter le renforcement de la démocratie locale puisque l'exécutif de ces structures - qui s'apparentent de plus en plus à des collectivités territoriales au niveau de la législation - n'est pas élu au suffrage universel direct, contrairement à celui des communes, départements et régions.  Les EPCI ont en outre  des compétences qui touchent directement à la vie quotidienne des habitants : développement économique et création de zones d’activité, aménagement de  l’espace, transports publics, politique du logement, politique de la ville (selon les dispositions de la loi de 1999).  En outre, les communautés perçoivent une ressource fiscale importante : la taxe professionnelle et peuvent décider de la compléter par une fiscalité additionnelle.

Les solutions proposées pour améliorer la démocratie locale vont dès lors :

-          soit dans le sens d'une plus grande information des citoyens sur les activités des EPCI et d'une plus forte participation des délégués des communes au renforcement des liens entre l'exécutif de l'EPCI et celui des communes dont ils sont issus (c'est la solution "douce")

-          soit dans le sens de fusions entre les communes des EPCI à fiscalité propre, afin de permettre l'élection des EPCI au suffrage universel direct sans créer un quatrième niveau de collectivités territoriales (c'est la solution "dure", celle qui ferait des communes l'équivalent des arrondissements de Paris, Lyon ou Marseille)

 

3) La perspective d’une réforme

Dans la mesure où les EPCI à fiscalité propre tendent à devenir de véritables échelons décisionnels, il semblerait légitime que leur exécutif soit élu au suffrage universel direct. Le déficit démocratique dont souffre la coopération intercommunale, l’absence de responsabilité politique directe devant les électeurs de la part des élus au sein des organes de coopération, est un frein à toute évolution vers plus d’intercommunalité.

Cependant, l'élection au suffrage universel direct de l'exécutif des EPCI à fiscalité propre, en entérinant l'existence d'un quatrième niveau de collectivités territoriales risquerait de désorienter les électeurs ; d’autant que le succès de la coopération locale ces dernières années mérite d’être nuancé. Si la loi propose, la pratique dispose… Malgré les dispositions législatives instituant une coopération de plus en plus intégrée, les collectivités locales optent spontanément pour les formules les plus souples. De plus, les EPCI ne couvrent qu’inégalement le territoire. L’approfondissement de la coopération locale dépend en effet du temps nécessaire à l’émergence d’une culture locale de la coopération intercommunale…

Ce n'est pas seulement dans le cadre du développement de la coopération intercommunale, mais plus largement dans celui de l'évolution des modes de "gouvernance locale", que se pose la question de la démocratie locale. En effet, la notion encore floue de "gouvernance locale" traduit le fait que les décisions des collectivités locales associent de plus en plus, selon des modalités souvent très souples, non seulement d'autres collectivités locales (c'est le cas de la coopération intercommunale), mais aussi des chambres consulaires, des entreprises ou encore certains groupes de la population (coopération verticale). Elle pose donc la question de la représentation et/ou de la participation démocratiques du citoyen dans ces décisions.

 

 

B. La coopération locale dans une problématique européenne

 

1) Le cadre européen

L’Union reste, en vertu du principe d’autonomie institutionnelle de ses membres, indifférente à la structure institutionnelle interne des Etats qui la composent. Pourtant, le débat sur la place des collectivités territoriales dans l’Union et sur leur rapport avec le droit communautaire prend une ampleur croissante. Si la problématique territoriale est aussi ancienne que la construction européenne dans la mesure où l’intégration européenne repose sur l’objectif d’une cohésion économique et social du territoire de l’Union, la pénétration du droit communautaire dans les structures et les processus territoriaux de décision ne remontent qu’à une quinzaine d’années. Ainsi, le renforcement des collectivités territoriales tend à les éloigner de l’Etat mais à les rapprocher de l’Europe, qui prend de plus en plus le relais de l’Etat dans le cadrage général des politiques locales (développement économique, aménagement du territoire, protection de l’environnement).

L’établissement de contacts directs entre les collectivités territoriales et les institutions européennes s’est progressivement officialisé. Régions, provinces, départements et grandes villes ont pris l’habitude d’entretenir à Bruxelles des « bureaux » ou des « délégations » pour faire entendre leur voix et optimiser le financement communautaire de leurs actions. Ce mouvement a trouvé son plein épanouissement dans le processus d’association permanente des collectivités territoriales à la préparation des décisions communautaires que l’on appelle le « partenariat », progressivement officialisé par le droit communautaire. Ces formes d’associations concernent, il est vrai, essentiellement les régions (cf. Comité des régions) et ne concernent les collectivités locales de base – les communes – que marginalement. Néanmoins, l’association des collectivités locales aux décisions communautaires est un enjeu essentiel pour celles-ci, auquel la coopération intercommunale n’est pas (encore ?) à même de répondre.

 

2) L’Europe des collectivités territoriales

L’observation des cadres institutionnels des politiques urbaines dans les autres pays européens révèle une certaine convergence des problématiques :

- l'affirmation du caractère par essence local des politiques urbaines.

- la réaffirmation simultanée de certaines prérogatives des pouvoirs nationaux. De ces deux éléments découle une relative convergence dans l'équilibre des relations institutionnelles entre les pouvoirs nationaux et locaux des différents pays.

- l'émergence du niveau intermédiaire, souvent dédoublé (régions et départements français, Länder et Regierungs-Bezirk allemands...), entre le niveau central ou fédéral et le niveau local.

Plusieurs auteurs soulignent les effets déjà sensibles du processus d'intégration européenne sur les transferts d'expérience en matière de coopération intercommunale, mais aussi, plus largement, en matière de structuration institutionnelle du territoire. D'une part, parce qu'il accroît la concurrence entre les villes - même moyennes - et les territoires européens, le processus d'intégration européenne incite les pouvoirs publics nationaux, intermédiaires et désormais surtout locaux à s'intéresser plus attentivement aux expériences menées dans les autres pays. D'autre part, il renforce l'influence du modèle fédératif allemand, et du principe de subsidiarité qui le sous-tend, comme cela a déjà été le cas à l'échelle des rapports entre l'Europe et les Etats lors de la préparation du traité de Maastricht. Ce modèle fédératif, parce qu'il repose sur une répartition rigoureuse des compétences entre les différents niveaux de pouvoirs publics, tend à renforcer les niveaux intermédiaires et intercommunal ou supracommunal. Ainsi, on peut mettre en parallèle les phases de renforcement de l'intégration européenne et les périodes d'accélération de la coopération intercommunale.

Enfin, on doit noter que les premiers transferts d'expérience induits par l'intégration européenne se sont souvent faits, sur le terrain, à l'occasion de démarches de coopération transfrontalière entre collectivités locales de pays différents, qui ont été l'occasion d'inventer de nouveaux modèles de coopération à partir des modèles existants dans chacun des pays concernés.

 

3) La concurrence européenne

C’est désormais plus en terme de développement économique qu’en terme de pouvoir administratif qu’il faut comprendre la coopération locale : c’est elle qui peut permettre l’élaboration de projets de développement, la mise en place d’une gestion dynamique du territoire, l’organisation d’une offre de services aux particuliers et aux entreprises. En effet, le développement économique, qui intéresse de plus en plus les collectivités locales, tend à devenir l’un des principaux moteurs de la coopération intercommunale de projet, notamment à travers les choix qu’il induit en matière de taxe professionnelle. En outre, les collectivités locales sont confrontées à de nouveaux enjeux techniques (gestion sélective des ordures ménagères, lutte contre la pollution des eaux), qui nécessitent la mise en commun non seulement de leurs moyens financiers et logistiques, mais également de leurs capacités de négociation avec des prestataires de services de plus en plus puissants.

Par conséquent, afin de valoriser leur territoire d’un point de vue économique et commercial et d’accroître leur poids dans l’espace économique européen, les collectivités territoriales optent pour la coopération locale qui leur permet notamment de bénéficier de la « DGF-groupements » (Dotation Globale de Fonctionnement). Face aux deux phénomènes liés que sont la reprise de la métropolisation et le déclin relatif des Etats-nations, les grandes agglomérations sont appelées à se constituer en puissantes métropoles - on parle souvent d'"eurocités" - capables d'entretenir des relations directes avec leurs semblables, au sein de véritables réseaux métropolitains transnationaux.

Ce moteur de la coopération pose néanmoins problème, dans la mesure où l’évolution vers une intercommunalité de projet tend à entraîner une identification de la coopération au projet de développement. On assiste donc à l’avènement d’une coopération davantage conjoncturelle, sans véritable débat de fonds sur ses enjeux administratifs et politiques.

 

 

 

La coopération locale, malgré ses travers et ses insuffisances, s’est imposée comme la solution la plus pertinente face à l’impératif de rationalisation du territoire administratif français. Progressivement les formules se sont développées afin de trouver un compromis entre impératifs de gestion locale et principe de libre administration des collectivités territoriales. L’Etat a démontré une relative souplesse dans sa patiente recherche d’un équilibre entre rationalisation de l’administration territoriale et respect des dynamiques locales. Néanmoins, à la politique volontariste de réforme de l’Etat des années 1960, a succédé une volonté d’améliorer « à la marge » et avec pragmatisme le système existant. La coopération locale reste « à géométrie variable » et les dispositions législatives demeurent tributaires d’un poids sociologique non négligeable, qui ralentit largement les réformes souhaitées par les pouvoirs publics. Par ailleurs, l’évolution de la coopération locale au contact de la pratique suscite de nouveaux problèmes, tandis que le processus d’intégration européenne laisse apparaître d’autres enjeux.

D’autre part, comme l’écrit Jean Vergès, « il est probable que la progression de l’Union ne pourra pas se faire partout de manière uniforme. A ce point de son évolution, l’Union doit redécouvrir l’utilité de la diversité. L’application de son droit, pour être acceptée, devrait pouvoir tenir compte des différences structurelles des Etats qui résultent de leur histoire puisque celle-ci a façonné leur « identité nationale », et que l’Union a, selon l’article F1 du Traité de Maastricht, le devoir de respecter. ». Ainsi, en dépit des efforts de l’Etat fait dans le sens d’une rationalisation de l’administration territoriale et malgré son relatif succès, la coopération locale illustre les limites de celle-ci et le débat récurrent sur la dimension pertinente de la collectivité locale de base reste ouvert.

 

 

Bibliographie :

- Bodineau, Verpeaux, La coopération locale et régionale, Paris, PUF, 1998.

- Vergès, L’union européenne et les collectivités locales, Paris, Economica, 1997.

- Bourjol, Intercommunalité et Union européenne, Paris, LGDJ, 1994.

- Centre national de la fonction publique territoriale, La coopération décentralisée des collectivités territoriales en Europe : RFA, Espagne, France, Italie, Grande-Bretagne : le cadre juridique et institutionnel, Levallois-Perret : FMCU, 1990.

-  Sites : www.dgcl.interieur.gouv.fr et www.urbanisme.equipement.gouv.fr

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