Les commissaires européens : quelle élite pour l’Europe

 

      La commission est l’élément le plus original de la structure institutionnelle européenne. En effet, il dispose de l’initiative législative mais aussi de compétences exécutives déléguées par le Conseil, c’est un organe hybride dont on ne peut trouver aucun équivalent au niveau national. Cette originalité se retrouve au niveau de ses membres :les commissaires européens.

    En raison des pouvoirs importants qui leur sont conférés, de leur petit nombre, on peut dire qu’ils constituent une sorte d’élite, et une élite européenne puisque la Commission a vocation à être un organe supranational de l’union.

     Pourtant les Commissaires européens sont le plus souvent mal connus. Ceci invite à se poser un certain nombre de questions : qui sont les commissaires européens, que font-ils, que représentent-ils, constituent-ils une forme de leadership politique européen légitime ? Autrement dit : quel type d’élite sont réellement les commissaires européens ?

    Pour y répondre, il faudra d’abord se demander en quoi cette élite est originale.Puis nous verrons que les commissaires européens se situent « à la croisée des chemin «, entre technocrates, politiques et diplomates. Enfin, nous nous intéresserons aux enjeux auxquels doivent faire face les commissaires pour s’imposer dans une Europe en constante évolution et en constante redéfinition.

 

 

I. Un modèle d’élite original et donc difficile à définir

 

1. Les commissaires : un groupe hétérogène

 

Les Commissaires européens sont au nombre de 20, un par état membre et deux pour les « grands » états à savoir  l’Allemagne, la France, l’Espagne, la Grande Bretagne et l’Italie.La diversité du collège vient donc d’abord du fait qu’il est multiculturel.

    Qui devient Commissaire ? En fait les modalités d’entrée sont très difficiles à systématiser. En effet, les nominations sont le résultat de « discussions » entre les gouvernements, le président pressenti et le Parlement européen. Les nominations ont donc un caractère assez imprévisible, même pour les principaux intéressés.

    De plus il faut noter que les Commissaires européens sont issus des élites politiques et administratives de leurs pays respectifs qui ne sont pas toutes formées de la même façon.

   Essayons de dresser un panorama du parcours antérieur des commissaires et de leur origine professionnelle. Les commissaires anglais répondent plutôt au modèle « Oxbridge », ils sont passés par les « public schools. La Formation juridique prévaut en Allemagne, Autriche, Hollande, Italie, Scandinavie. Les commissaires français ont en général fait l’X ou l’ENA, la moitié d’entre eux est passé par l’ENA, les autres se répartissent entre les filières économiques et juridiques. Au Royaume Unis, le monde de l’entreprise représente un véritable vivier.

     Ces commissaires, aux parcours universitaires variés, ont également eu une expérience professionnelle variées. Selon Mac Mullen, 24% d’entre eux (entre 1952 et 2000) ont exercé une fonction diplomatique.61% sont d’anciens ministres. Les anglo  saxons ont pour la plupart fait carrière dans une entreprise.

    Nous pouvons cependant  trouver des éléments distinctifs qui caractérisent les trajectoires des commissaires :

- La précocité politique , avec un age moyen de 54,9 ans et 40% de nouveaux venus en 1999.

- L’expérience acquise au sein des institutions européennes, les 2/3 ont une pratique des organisations internationales, ½ a déjà travaillé dans les institutions de l’UE.

- Une relative méconnaissance de la commission, car les rencontres entre les membres avant leur nomination sont rares.

- On remarque qu’il y a un parallèle entre leurs activités antérieures et le portefeuille qui leur est confié.

  

  

 

2. Du rôle national au rôle supranational, de l’autonomie à la dépendance

 

      Quelle est la place des Commissaires européens vis-à-vis des Etats membres ? Cette place est ambiguë. Dans la pratique, chaque état membre nomme (ou influence très fortement la nomination) ses Commissaires, et ceux-ci défendent les intérêts de l’union européenne dans son ensemble, comme le reflètent le principe de la collégialité.

De plus, les commissaires dépendent  des réseaux administratifs et du fonctionnement politique de leur pays d’origine. En effet, le renouvellement pour 5 ans de leur mandat ou non dépend du contexte politique national Les commissaires disposent de soutiens extérieurs : avoir des réseaux dans son pays d’oprigine est essentiel aux yeux des commissaires. En effet cela permet de pouvoir anticiper les réactions nationales aux propositions de la Commission et de préparer les dirigeants et acteurs nationaux aux initiatives que la commission risque de présenter au conseil. Il faut également noter que les cabinets sont en général constitué des membres de la fonction publique de chaque pays.

      Les commissaires souhaitent avoir une image « indépendante », mais dans la pratique,     cela s’avère difficile.

Les Commissaires européens sont donc obligés d’arbitrer entre leurs intérêts sectoriels, l’intérêt national et l’intérêt européen. Cependant, il est clair que les normes de la collégialité rendent difficiles une pratique consistant exclusivement à suivre des instructions nationales.

 

3. L’ »image » des Commissaires européens

 

       Les Commissaires européens sont assez mal connus, leurs compétences apparaissent parfois comme assez floues, des représentations diverses sont associées à leur image. Le grand public est souvent mal informé sur ce groupe et sur son travail. La construction de l’Europe en temps qu’organisation politique amorcée par la Convention de VGE doive faire connaître les commissaires, définir plus précisément leur rôle et faire rentrer cette nouvelle élite « européenne » dans les systèmes de représentation de tous les citoyens de l’UE.

     L’image que se font les Commissaires d’eux-mêmes et de leurs fonctions influant également sur leurs pratiques. Ainsi par exemple E. Cresson s’était dite prête à «  défendre les intérêts de la France », puis se rendant compte que ce n’était pas approprié elle avait ajouté « et les intérêts de l’Europe ce qui est la même chose puisqu’elles coïncidant »…

    La plupart des commissaires européens se représentent leur désignation comme la conséquence d’une trajectoire, comme une «vocation naturelle » au service de leur état. Il faut noter que leur nomination n’est pas forcément revendiquée, et que la logique même de la nomination n’est pas totalement maîtrisable (marchandages. L’entrée à la commission est souvent analysée comme « accidentelle » par les principaux intéressés.

 

 

     Emme s’il est donc excessif de parler de « carrières européennes », l’accès à la commission concerne plutôt des acteurs disposant d’une familiarité particulièrement marquée avec les milieux gouvernementaux de leur pays, acquise précocement, et d’une expérience des institutions européennes. En dehors des titulaires de certains portefeuilles, comme l’agriculture, ils apparaissent de plus en plus comme des généralistes de l’action politique et de l’action publique. Ainsi il faut étudier la validité de leur image de « technocrates », de « spécialistes », pour voir s’ils ne sont pas plutôt de véritables « politiques.

 

II. Un modèle à la croisée des chemins : entre technocratie, politique et diplomatie

 

1. Des technocrates ?

 

 Ce terme un peu péjoratif est souvent employé pour définir les commissaires. Pour B.Caremier, ils sont un point central de l’eurocratie. Leur travail a effectivement un coté très technique, ce sont des spécialistes de l’Europe et de son fonctionnement institutionnel d’une part mais également d’un domaine particulier (leur portefeuille) dans lequel ils doivent avoir des connaissances pointues. En effet ils reçoivent souvent un portefeuille proche du domaine dont ils s’occupaient avant d’être nommés.66% traitent à la commission un dossier qu’ils ont déjà traité comme ministres.

   En tant qu’exécuteurs de certaines politiques communautaires qui leur sont déléguées par le Conseil, ils doivent faire preuve de compétences de gestion proches du domaine administratif.

  Cet aspect doit cependant être nuancé. En effet un grand parti des compétences très techniques et spécialisées des dossiers est confiée aux cabinets des commissaires ainsi qu’aux  Directions Générales correspondant aux sujets traités. Cela explique d’ailleurs pourquoi certains commissaires enchaînant plusieurs mandats peuvent se voir confier des portefeuilles différents.

   La pratique des commissaires varie entre connaissance du dossier compétences pour le défendre. Ainsi, nous assistons à une politisation croissante de la commission.

 

2. Des hommes politiques ?

 

    Les commissaires sont garants de l’intérêt de l’union. Par ailleurs ils ont un rôle d’impulsion des politiques communautaires : à ce titre, ils sont impliqués dans la définition de ces politiques, ils ont un véritable pouvoir de décision.

   Ceci peut être mis en relation avec la politisation croissante de l’origine socioprofessionnelle des commissaires : les trois quarts ont eu une expérience élective ou gouvernementale, avec un nombre croissant d’anciens ministres. Cela montre l’évolution de la signification affectée dans les états au mandat de commissaire européen puisqu’ils se font représenter par des acteurs du plus grand poids politique et maîtrisant le savoir gouvernemental( D de Villepin, G Schroder.La commission est composée de représentants des grands partis politiques des pays de l’union.

    Enfin ils doivent faire un véritable travail politique pour obtenir des soutiens à leurs idées, avec des discours au Parlement européen, des articles dans la presse, convaincre les milieux économiques : Ils doivent savoir convaincre et donner une bonne image d’eux. On est alors bien loin du « technocrate froid.

 

3. Des diplomates ?

 

Ce rôle de diplomate est moins mis en avant.

     Les commissaires doivent faire face à ce dilemme : sont-ils des représentants de l’union ou de ses états membres. Le problème se pose lors des voyages dans les pays membres, mais aussi à l’extérieur ; peuvent-ils se comporter comme de véritables ambassadeurs de l’union alors qu’aucun des traités ne définit ce rôle et, dans le cas d’une réponse positive, comment développer l’image de l’UE ?

  Je ferai deux remarques sur ce point. La première concerne la comparaison entre le rôle du commissaire et celui d’ambassadeur. IL est probable que la plupart des commissaires partageaient cette opinion de l’un de leurs confrères : « Le terme d’ambassadeur est de Prodi. Cette formule est dévalorisante pour la Commission. A la commission, on ne fait pas de la diplomatie, nous sommes l’exécutif de l’Union européenne. »En même temps, entre exécutif à l’UE implique forcément les commissaires dans une forme de diplomatie, mais très particulière.

  La deuxième remarque concerne le problème que connaissent les commissaires pour s’adresser à un public à travers des médias nationaux, sans pour autant apparaître comme des porte-parole nationaux ou des eurocrates sans territoire. Dans les deux cas, les commissaires « font l’Europe dans un processus de création continu, mais ils ne sont pas l’Europe »(Abélés, 1996.

 

 

   Ni politiciens, ni diplomates, ni fonctionnaires européens, ni technocrates, les commissaires européens présentent des traits relatifs à ces trois catégories. Se pose alors le problème d’une redéfinition du rôle des commissaires qui s’inscrit dans la problématique plus générale des enjeux auxquels doit faire face cette élite pour affirmer son rôle d’organe indispensable de l’union.

 

III.            Les défis des Commissaires européens

 

1. Le problème de la légitimité

 

     Contrairement au Parlement élu et au Conseil indirectement élu, la commission ne semble disposer d’aucune légitimité réelle en dehors de celle que lui confèrent les traités. Il faut cependant noter  que la commission en tant que collège et son président ont  acquis récemment une nouvelle légitimité politique grâce à leur investiture parlementaire.

Le problème c’est qu’il s’agit (A Smith) d’élites sans territoires qui constituent donc un cas d’étude singulier pour une réflexion sur la légitimité politique.

    Les commissaires ont du se construire une légitimité, aux yeux des autres institutions européennes, des Etats membres et des populations. Or la crise  de 1999 et la démission de la commission Santer ont montré la vulnérabilité de cet organe et son incapacité à se relever ces défis de légitimation, notamment aux yeux des médias et du parlement.

 

2. Transparence et lisibilité

 

      Ces dernières années, de grands efforts ont été réalisés en matière de transparence, devenu le mot d’ordre d’une stratégie d’auto légitimation. Les services de communication se sont donc développés avec notamment l’utilisation de techniques nouvelles comme la création du site Europa, ayant pour but de se rapprocher des citoyens. Cependant, le portefeuille « information » n’a jamais été recherchée par les commissaires et il a une importance minime.

   Transparence ne veut pas dire lisibilité et les commissaires sont facilement accusés de propagande ou de délivrer des informations banales, éloignés des besoins des médias.De plus , l’inefficacité des modes de diffusion est souvent reprochée . La crise de la vache folle a montré a montré ces défis de la communication.

  Il existe un Service Porte Parole de la Commission mais celui ci ne contrôle pas toujours les personnes qui travaillent en son sein. De plus , on observe une tendance à l’individualisation de l’information de chaque commissaire.

  En distinguant les enjeux de la transparence de ceux de  la lisibilité ,nous pouvons voir une série de processus institutionnalisé qui , malgré les efforts considérables  pour communiquer , participe à un résultat global ou le citoyen moyen continue de considérer les instances communautaires comme lointaines et illisibles. Il n’en reste pas moins qu’au sein des instances communautaires , l’information sur l’intégration communautaire reste avant tout un problème public attribué à la Commission et aux commissaires ; elle n’est pas un problème « européen «  dont la responsabilité est partagée par d’autres élites de l’Union.

 

3. Le défi de l’élargissement

 

Avec les projets d’élargissement se pose le problème de la réforme des institutions. Qu’en est il de la commission et des commissaires ?

Le traité de Nice a permis de résoudre la question du nombre des commissaires : des l’entrée de nouveaux membres en 2004, les grands états renonceront à leur deuxième commissaire. VGE s’exprime lui en termes « d’états les plus peuplés » et « d’états les moins peuplés ».(ce qui traduit une volonté de représentation égale de chaque citoyen et non de chaque état membre).Il explique dans le Monde (Mardi 14 Janvier 2003) que « la Commission passera à 25 commissaires , dont 6 nommés par les états les plus peuplés et 19 par les états les moins peuplés.Ce passage à 25  sera du à la désignation pas les nouveaux états membres de 10 nouveaux commissaires, partiellement compensé par la suppression du 2éme commissaire des Etats les plus peuplés. »Un autre scénario est possible :à terme il est probable qu’il y aura moins de commissaires que d’états membres : des membres permanents , ceux des grands états et d’autres en alternance pour permettre un plus grande efficacité. Néanmoins , il faut remarquer que ce scénario se heurte bien évidemment à l’hostilité des petits états et son acceptation dépend donc beaucoup de la capacité des commissaires à représenter vraiment l’intérêt général et non  l’intérêt particulier des états.Pour cela l’UE doit se doter d’une véritable identité et d’une politique communautaire unie et claire.C’est ce que tente de réaliser la Convention.

On se dirigerait alors vers une commission beaucoup plus européenne et supranationale.

 

Bibliographie

 

H. MENDRAS, SULEIMAN, La construction des élites en Europe, La Découverte 1995

A.SMITH, J JOANA , Les commissaires européens : technocrates , diplomates ou politiques ? 2002

B CAREMIER « L’Eurocratie : une fonction  publique à la croisée du politique et de l’administratif ? » Revue de Recherche juridique, droit prospectif, n°68 1997 (p229-286)

C. LEQUESNE, « La commission européenne entre autonomie et dépendance » Revue Française de Sciences politiques , Vol 46 n°3 , p 389-408 , 1996

 

Site de la commission : http:/europa.eu.int/comm/index_fr.htm

 

Message du forum : Attention, ne copiez pas cette fiche pour la rendre comme votre travail, ce n'est ni utile pour apprendre, ni honnête. De nombreux outils de détection du plagiat existent et vous serez donc détectés par votre professeur. Servez-vous en plutôt comme outil d'apprentissage, d'approfondissement ou de révision.