La question de la souveraineté dans le contexte de la mondialisation

 

La question de la souveraineté est au cœur de celle de l'Etat, acteur principal du droit international public. Loin d'être figée, elle est en transformation continue en réponse à la constitution de groupements régionaux ou aux conceptions nouvelles qui apparaissent aux Etats-Unis.

1- L'Etat, détenteur de la souveraineté

 

            A/ Définition de la souveraineté

            B/ Souveraineté et droit international

            C/ Dimensions nouvelles de la souveraineté

 

 

 

2- L'Etat moderne et la souveraineté

 

            A/ La souveraineté confisquée ou le régime d'occupation

            B/ L'exercice de la souveraineté dans un Etat moderne, la pratique

française

 

 

3- Les frontières de la souveraineté

 

            A/ La question des Etats défaillants

            B/ Les dérives américaines

 

 

LA QUESTION DE LA SOUVERAINETE

 

 

 

1. L'Etat, détenteur de la souveraineté

 

            La souveraineté est au cœur des attributs de l'Etat en droit international. L'Etat est en effet traditionnellement défini comme « une collectivité qui se compose d'un territoire et d'une population soumise à un pouvoir politique organisé et qui se caractérise par la souveraineté » (cf. avis n°1 de la commission d'arbitrage de la conférence pour la paix en Yougoslavie). La question de la souveraineté a cependant évolué de façon très significative au fil de ces dernières décennies du fait des engagements pris par les Etats eux-mêmes et du fait de l'action des acteurs non-étatiques.

 

A/ Définition de la souveraineté

 

            La souveraineté a d'abord un fondement interne. Elle est liée à la constitution et à l'organisation de l'autorité sur un territoire donné. Les premiers théoriciens de la souveraineté, Bodin et Hobbes avaient comme souci d'affirmer la légitimité d'un pouvoir politique dans des espaces déchirés par des guerres de religion. La souveraineté est apparue comme le remplacement séculier du fondement religieux du pouvoir politique.

            Ainsi la souveraineté peut se définir comme le pouvoir suprême de l'Etat qui n'a pas d'égal dans l'ordre interne ni de supérieur dans l'ordre international. Selon Jean Bodin, « la souveraineté est le pouvoir de commander et de contraindre sans être commandé ni contraint par qui que ce soit sur la terre ».

            La souveraineté caractérise donc un pouvoir politique qui n'est soumis juridiquement à aucun autre pouvoir compétent pour décider à sa place ou donner des ordres. Comme l'a écrit Paul Reuter « la souveraineté exprime un caractère et un seul : celui de ne pas être soumis à un autre pouvoir de même nature. La souveraineté signifie simplement que, dans la pyramide des groupes humains actuellement constitués, l'Etat se trouve au sommet. »

 

            Le principe de souveraineté a commencé à prendre racine dans les rapports entre Etats avec les Traités de Westphalie qui ont remodelé la carte de l'Europe en 1648. La souveraineté s'exerce sur un territoire donné et sur ce territoire seuls les acteurs intérieurs à l'Etat peuvent exercer des attributs de puissance publique. La règle est celle de la non-intervention des acteurs extérieurs dans les affaires d'un Etat souverain.

Le principe de non-intervention a été exprimé et systématisé à la fin du XVIII° siècle et a toujours été particulièrement bien accueilli par les Etats les plus faibles. Ainsi les Etats d'Amérique Latine se sont efforcé de faire reconnaître que "Aucun Etat n'a le droit d'intervenir dans les affaires internes d'un autre Etat" (Déclaration adoptée par la conférence des Etats Américains en 1933).

 

            Principal sujet du droit international public, l'Etat est le seul sujet du droit international possédant la souveraineté, c'est-à-dire la plénitude des compétences susceptibles d'être dévolues à un sujet de droit international (les organisations internationales n'ayant seulement que des compétences fonctionnelles).

 

 

            Les Etats se reconnaissent entre eux les attributs de la souveraineté. Le concept de l'égalité souveraine des Etats a été exprimée en 1758 par Vattel et depuis lors préside aux relations entre les Etats.

Les Etats se reconnaissent entre eux de façon discrétionnaire, s'accordent des privilèges et des immunités pour leurs représentants. Ils concluent entre eux des traités et des accords dont le statut et le caractère contraignant est variable. Le modèle classique du droit international public reproduit la théorie libérale à l'intérieur des Etats. Au niveau international, l'Etat agit comme l'individu au niveau national.

Le droit international est basé sur le consentement des Etats qui peuvent prendre des obligations les uns à l'égard des autres et transférer, le cas échéant, une partie de leur souveraineté à un partenaire ou une institution multilatérale dans une relation acceptée.

 

            Les Etats peuvent entretenir des relations avec des territoires sans reconnaître leur gouvernement, c'est à dire d'établir des relations diplomatiques avec lui. Ils peuvent également établir des relations avec des entités qui n'ont pas tous les attributs de la souveraineté (provinces, territoires autonomes, mouvements de libération, ordres religieux…). Le refus de reconnaître un Etat est utilisé comme un instrument politique (refus des Etats-Unis de reconnaître le gouvernement de la Chine populaire de 1949 à 1970).

 

 

B/ Souveraineté et droit international

 

            Le principe de la souveraineté étatique est à la base des relations entre les Nations Unies dont la Charte rappelle dans son article 2 § 1er : « L'Organisation est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses membres ». A travers l'égalité souveraine, c'est l'indépendance de l'Etat qui est affirmée. Comme l'a souligné l'arbitre Max Huber dans l'affaire de l'Ile des Palmes, « la souveraineté dans les relations entre Etats signifie l'indépendance » (cf. sentence arbitrale de 1928). Plus précisément, la souveraineté est le garant de l'indépendance dans la mesure où elle exclut la création d'une autorité supérieure à celle des Etats. Tous les Etats bénéficient en effet, quelles que soient leur taille ou leur puissance, du principe de l'égalité souveraine. Celle-ci implique la non-ingérence. Ce principe est rappelé solennellement par la résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale des Nations Unies, adoptée par consensus : « Tout Etat a le droit de choisir son système politique, économique, social, culturel sans aucune forme d'ingérence de la part d'un autre Etat ».

 

            En droit international public, la souveraineté des Etats a plusieurs dimensions :

 

- l'absence de toute subordination organique des Etats à d'autres sujets de droit international, qu'il s'agisse d'Etats ou d'organisations internationales, lesquelles ne peuvent en aucun cas prétendre constituer une structure organique supérieure aux Etats (cf. avis de la Cour internationale de justice de 1949 dans l'affaire de la réparation des dommages subis par les Nations Unies où la Cour a notamment affirmé que l'ONU « n'était ni un Etat ni un super Etat »).

 

- la présomption de régularité des actes étatiques (cf. notamment la sentence arbitrale de 1957 dans l'affaire du lac Lanoux qui opposait la France à l'Espagne : « il est un principe général de droit bien établi selon lequel la mauvaise foi ne se présume pas »).

 

- l'autonomie constitutionnelle de l'Etat (cf. l'avis de 1975 de la Cour internationale de justice dans l'affaire du Sahara occidental : « Aucune règle de droit international n'exige que l'Etat ait une structure déterminée comme le prouve la diversité des structures étatiques qui existent actuellement dans le monde »).

 

- l'interprétation stricte des limitations à la souveraineté des Etats. Ce principe a notamment été posé par la Cour permanente de Justice internationale dans l'affaire du Lotus (1927) qui opposait la France à la Turquie : « les limitations de l'indépendance des Etats ne se présument pas ». De même, dans l'affaire des essais nucléaires dans le Pacifique (1974), la Cour internationale de Justice réaffirma sa position traditionnelle : « lorsque des Etats font des déclarations qui limitent leur liberté d'action future, une interprétation restrictive s'impose ».

 

            La souveraineté ne peut être assimilée à un pouvoir illimité et inconditionné de l'Etat, contrairement à ce qu'affirmait la science juridique allemande au 19ème siècle. Il est aujourd'hui largement admis que la souveraineté de l'Etat, qui se heurte à celles, concurrentes et égales, de tous les autres Etats, ne découle pas seulement de la volonté de l'Etat mais également des nécessités de la coexistence des sujets de droit international.

            La souveraineté n'est nullement contradictoire avec l'existence du droit international auquel elle est indissolublement liée. Elle n'implique en aucune manière que l'Etat puisse s'affranchir des règles du droit international. Au contraire, l'Etat n'exerce une souveraineté effective que s'il accepte d'être soumis directement, immédiatement, au droit international. L'exigence du respect du droit international par les Etats est une proposition première dans la mesure ou elle garantit les autres corollaires de la souveraineté. Comme l'a affirmé la Cour internationale de Justice dans l'affaire du détroit de Corfou (1949), « entre Etats indépendants, le respect de la souveraineté territoriale est l'une des bases essentielles des rapports internationaux ».

 

            Au total, les obligations internationales de l'Etat découlent de ses engagements internationaux, et ces engagements résultent de l'exercice de la souveraineté. Comme l'a souligné avec force la Cour permanente de Justice internationale dans son arrêt du 17 août 1923, à propos de l'affaire du navire Wimbledon, conclure un traité international n'est pas un abandon de souveraineté : « la CPJI se refuse à voir dans la conclusion d'un traité quelconque, par lequel un Etat s'engage à faire ou ne pas faire quelque chose, un abandon de sa souveraineté. Sans doute, toute convention engendrant une obligation de ce genre apporte une restriction à l'exercice des droits souverains de l'Etat, en ce sens qu'elle imprime à cet exercice une direction déterminée. Mais la faculté de contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de la souveraineté de l'Etat ».

 

 

C/ Dimensions nouvelles de la souveraineté

 

            Si la souveraineté semble impliquer l'existence d'un « domaine réservé » de l'Etat, celui-ci n'est nullement intangible et a évolué de façon sensible au fil des dernières décennies, au fur et à mesure que se développait le droit international.

 

            La notion de « domaine réservé » de l'Etat n'est pas seulement un « résidu historique » de la souveraineté absolue de l'époque monarchique. Elle reste intimement liée au concept de souveraineté qui implique à la fois la soumission de l'Etat au droit international mais aussi la liberté de décision de l'Etat lorsque le droit international se contente de fonder les compétences étatiques sans en réglementer les modalités d'exercice. Elle trouve une illustration dans l'article 2 paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies qui précise qu'aucune disposition de la Charte « n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat ni n'oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte ». Cette disposition s'inspire d'une clause qui figurait à l'article 15 paragraphe 8 du Pacte de la SDN et qui faisait état des questions « que le droit international laisse à la compétence exclusive d'une partie ». L'article 2 paragraphe 7 de la Charte de l'ONU ajoute cependant, et c'est là une limitation importante, que les dispositions qui précèdent « ne portent en rien atteinte à l'application des mesures de coercition prévues au chapitre VII. »

 

            Par ailleurs, la notion de « domaine réservé » n'est pas intangible : toute limitation inédite d'une compétence étatique discrétionnaire réduit la portée du domaine réservé. En d'autre terme, il n'existe pas un domaine réservé par nature. Comme l'a souligné la CPJI dans son avis du 7 février 1923 dans l'affaire des Décrets de nationalité en Tunisie et au Maroc, « la question de savoir si une certaine matière rentre ou ne rentre pas dans le domaine exclusif d'un Etat est une question essentiellement relative : elle dépend du développement des rapports internationaux. » Il ressort de ceci que le contenu du domaine réservé dépend des nécessités de la vie internationale telles qu'elles s'expriment par le développement du droit international positif, que celui-ci soit écrit ou non écrit, et en fonction bien entendu de son interprétation par le juge ou par l'arbitre.

 

            Plusieurs exemples permettent d'illustrer le caractère mouvant et contingent du « domaine réservé » :

            a) Ainsi, si l'organisation politique d'un Etat fait certainement partie du noyau dur des compétences étatiques, il est arrivé que ce type de question soit appréhendé par le droit international : ainsi le traité d'Etat autrichien de 1955, dans lequel les quatre puissances occupantes obligeaient l'Autriche à maintenir un régime démocratique fondé sur des élections au suffrage universel ; les sanctions prises par le Conseil de Sécurité contre la Rhodésie du Sud après la déclaration unilatérale d'indépendance de 1965 parce que ce pays ne reconnaissait pas le principe « un électeur, une voix » ; les accords de Zurich du 17 février 1959 concernant l'indépendance de Chypre qui déterminaient dans le plus grand détail les « structures de base » de la nouvelle République. Plus récemment, on peut citer dans le même sens l'accord sino-britannique du 19 décembre 1994 qui prévoyait la rétrocession de Hong Kong à la Chine le 1er juillet 1997 et qui a défini un régime particulier applicable à la nouvelle « Région administrative spéciale de Hong Kong » : Hong Kong jouit d'un haut degré d'autonomie (dans le cadre du principe « un Etat, deux systèmes ») et d'une assez large capacité juridique internationale ; on peut encore mentionner l'accord de Dayton pour la paix en Bosnie-Herzégovine signé à Paris le 14 décembre 1995 qui incorpore le texte de la Constitution de ce pays en même temps qu'il pose des principes fondamentaux quant à la tenue des élections et au respect des droits de l'Homme.

            b) Les droits de l'Homme et ceux des minorités fournissent d'ailleurs un excellent exemple du caractère relatif du « domaine réservé ». D'un côté, les Etats, surtout lorsqu'ils sont peu respectueux des droits de l'Homme, seront enclins à invoquer l'article 2 paragraphe 7 de la Charte pour s'opposer à toute discussion sérieuse dans les enceintes internationales, a fortiori à la venue de toute commission d'enquête, toutes initiatives qui risqueraient de les placer dans l'embarras à propos de la manière dont les droits de l'Homme et les libertés fondamentales sont appliqués à leurs ressortissants. Bon nombre d'Etats admettent difficilement l'idée d'une protection internationale des droits de l'Homme qui peut jouer en définitive contre eux-mêmes (comme l'illustre l'attitude de la Chine, de l'Algérie ou de Cuba, pour ne citer que quelques Etats parmi bien d'autres, à la Commission des droits de l'Homme des Nations Unies). De l'autre, il est difficile de contester l'idée selon laquelle les droits de l'Homme constituent une matière d'intérêt international, alors même que l'article 1er de la Charte assigne comme l'un des buts des Nations Unies le développement et l'encouragement de leur respect. Cette contradiction débouchera parfois sur bien des incertitudes, notamment en ce qui concerne les conséquences qui peuvent être tirées par les Etats en cas de violation massive des droits de l'Homme par un de leurs pairs (problème de l'intervention d'humanité qui s'est posé avec force dans le cas du Kosovo).

            c) De même, si l'organisation économique et sociale d'un Etat est l'un des éléments constitutifs de sa souveraineté interne, il est fréquent de voir les Etats en difficulté aidés par les institutions monétaires ou financières internationales comme le FMI ou la BIRD obligés de procéder à des réformes conjoncturelles ou structurelles d'envergure comme condition de cette assistance.

            d) On peut enfin illustrer le caractère évolutif des obligations internationales en prenant l'exemple du droit de l'environnement. Dans son arrêt du 25 septembre 1997 dans l'affaire du barrage sur le Danube opposant la Hongrie à la Slovaquie, la Cour internationale de Justice a ainsi fait état de nouvelles normes du droit de l'environnement, récemment apparues, et qui doivent être prises en considération.

 

 

2. L'Etat moderne et la souveraineté

 

Le modèle de l'Etat souverain est la norme de référence dans la société internationale contemporaine. Un Etat constitué exerce sur un territoire et sur une population une autorité continue. Les quelques deux cents Etats admis aux Nations Unies et membres de l'organisation universelle sont hétérogènes en taille comme en histoire. Tous ne sont pas des Etat-nation issus d'un processus de consolidation progressive, à travers les crises, dans la durée. La plupart aspirent cependant à la cohésion et à la légitimité que l'on prête à ce modèle. C'est le cas des jeunes Etats issus de la décolonisation et à la désintégration des Empires qui sont particulièrement attachés à l'affirmation et à la défense d'une souveraineté récemment acquise.

Pour ces Etats, la conception westphalienne du droit international présente de grands avantages. "Dans un monde ou l'hétérogénéité est une loi de la nature, la souveraineté introduit un principe irremplaçable d'égalité. La puissance des Grands y trouve une borne, et la faiblesse des petits une protection" (Gabriel Robin, Entre Empire et nations, 2004).

Ces Etats s'efforcent de tirer le meilleur parti possible des règles du droit international pour protéger leur souveraineté et défendre leurs intérêts. Ils s'efforcent de limiter le champs des obligations auxquelles ils consentent du fait de leur adhésion à des instruments multilatéraux par exemple dans le domaine des droits de l'homme. Cependant, "la souveraineté nationale est un principe de responsabilité parce qu'elle oblige chaque Etat à mesurer ses actes à l'aune de leurs conséquences et qu'elle l'empêche de se comporter comme s'il était seul au monde…la souveraineté se décline toujours au pluriel et celle de l'un a nécessairement pour corollaire le respect de celle des autres" (Gabriel Robin).

Deux exemples permettent de prendre la mesure de la dimension de souveraineté dans notre monde : celui pour les Etats sortant d'une période d'occupation militaire ; celui des dispositions constitutionnelles françaises en matière de souveraineté.

 

A/ La souveraineté confisquée ou le régime d'occupation

 

            Il y a deux ans la question de savoir ce qu'il advient de la souveraineté d'un pays quand il a été envahi et que son Etat s'est effondré apparaissait comme une curiosité juridique dépassée. L'exemple le plus récent en était la capitulation de l'Allemagne le 8 mai 1945.

            Une commission consultative européenne, constituée à Moscou en 1943, avait établi les conditions de la capitulation de l'Allemagne. Celle-ci étant intervenue le 8 mai 1945, les Alliés adoptaient le 5 juin 1945 une déclaration salon laquelle "le Gouvernement provisoire de la République française, les gouvernements des Etats-Unis d'Amérique, du Royaume-Uni et de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques assument par les présentes, l'autorité suprême à l'égard de l'Allemagne, y compris tous les pouvoirs détenus par le gouvernement allemand et par tout gouvernement ou autorité d'Etat municipal ou local. La prise de cette autorité et de ces pouvoirs n'a pas pour effet d'annexer l'Allemagne" (Préambule, Paragraphe 5).

 

            Les quatre gouvernements annoncent que (dispositif, paragrahe 13) "dans l'exercice de l'autorité suprême à l'égard de l'Allemagne…ils prendront toute mesure qu'ils jugeront nécessaires pour assurer la paix et la sécurité futures, y compris le désarmement total et la complète démilitarisation de l'Allemagne".

            "Les Représentants alliés imposeront à l'Allemagne toutes conditions d'ordre politique, administratif, économique, financier et militaire et autres qu'entraîne la défaite de l'Allemagne. Eux-mêmes ou les personnes ou organismes dûment qualifiés pour agir en leur nom, promulgueront les ordres, proclamations, ordonnances et instructions".

            Le même jour, d'autres déclarations prévoient que "pendant la période d'occupation qui suivra la capitulation de l'Allemagne", l'autorité suprême sera exercée, sur instruction de leurs gouvernements, par les quatre commandants en chef, "chacun dans sa propre zone d'occupation et aussi", au sein du Conseil de contrôle "conjointement pour l'ensemble de l'Allemagne".

            La doctrine s'accorde pour reconnaître, qu'en dépit de ces prescriptions sévères, l'Etat allemand n'avait pas disparu. Les Alliés se sont contentés d'exercer une "autorité suprême" comportant tous les pouvoirs sur l'Allemagne dans son ensemble et sur le peuple allemand. Cette situation a été assimilée par le Tribunal Constitutionnel de Karlsruhe dans un arrêt du 4 octobre 1955, à une véritable souveraineté d'occupation.

            Les règles relatives à l'occupation de guerre trouvent leurs fondements dans trois textes qui traitent du droit humanitaire de la guerre (jus in bello) : la convention II de la Haye de 1899, la quatrième convention de Genève de 1949 et le protocole additionnel I de 1977 additionnel à cette convention. La Cour internationale de Justice a reconnu que les conventions de Genève "constituent à certains égards le développement (des principes généraux du droit humanitaire…) qu'à d'autres elles ne font qu'exprimer…ces règles fondamentales s'imposent à tous les Etats, qu'ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment parce qu'elles constituent des principes intransgressibles du droit international cooutumier" (licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, Rec. 1996).

            Le régime juridique de l'occupation de guerre est régi par deux principes fondamentaux :

a) L'occupation est un état de choses temporaire ou transitoire. Il s'agit d'une situation anormale pour laquelle le droit s'efforce d'établir un équilibre entre, d'une part, la prise en compte des nécessités de la puissance occupante pour la poursuite de la guerre et, d'autre part, la protection des droits et libertés et du bien-être de la population du territoire occupé. La puissance occupante, responsable du gouvernement du territoire occupé, est tenue de rétablir et d'assurer"l'ordre et la vie publique" (art 43 du règlement de la Haye), à approvisionner la population en vivres et en produits médicaux, à respecter les droits de l'homme, des habitants, leur dignité.

b) L'occupation ne peut avoir d'incidence sur la souveraineté ni transférer celle-ci à la puissance occupante. Le régime de l'occupation fonctionne comme une mesure conservatoire, il gèle le statut juridique du territoire occupé, de sorte que ce statut ne peut être modifié par les actes de la puissance occupante. Cette interdiction ne concerne pas seulement la modification du statut juridique du territoire, elle s'applique également à la modification des éléments physiques et humains de l'entité territoriale occupée, dont l'interdiction de "procéder à des modifications démographiques par des transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que des déportations de personnes civiles hors du territoire occupé" (art 49 de la quatrième convention de Genève".

 

            La situation dans laquelle se sont trouvées les nations qui avaient envahi l'Iraq en mars 2003 est de cet ordre. Au moment de la chute de Bagdad, les autorités de la coalition n'ont pas fait paraître de proclamation particulière mais elles ont dissous les organes de l'Etat de Saddam Hussein (armée, police, parti Baas) et ont exercé tous les pouvoirs. Une "autorité provisoire de la coalition" (CPA) a été créée pour assurer le gouvernement de l'Iraq et un Conseil de Gouvernement de l'Iraq, composé de notables iraquiens opposés au régime du Président déchu, nommé par la CPA le 13 juillet 2003 pour jouer un rôle consultatif. La CPA a pris des décisions et fait paraître des textes à caractère législatif et réglementaire qui ont encadré la reconstitution d'une administration iraquienne.

 

            On peut estimer, en droit, que pendant cette période, la souveraineté du peuple iraquien a continué à résider dans le peuple iraquien. Les puissances coalisées ont exercé les compétences de cette souveraineté dans le cadre des dispositions du droit international qu'elles étaient tenues de respecter.

            Le processus de retour de la souveraineté au peuple iraquien est progressif et ne peut se réaliser que par étapes compte tenu de la difficulté qu'il y a à reconstituer les conditions d'une souveraineté à l'intérieur d'un pays où les conditions de sécurité sont problématiques.

            Le 15 novembre 2003, le responsable de la CPA a passé un accord avec le Conseil de Gouvernement qui prévoyait un transfert de la souveraineté à des autorités iraquiennes avant le 30 juin 2004, la mise en place d'un gouvernement iraquien à cette date et la préparation d'élections démocratiques à une Assemblée Constituante pour le début de l'année 2005. La mise en œuvre de cet accord a soulevé de nombreuses difficultés car une partie des responsables politiques iraquiens demandaient à ce que des élections démocratiques interviennent avant la mise en place d'un gouvernement exerçant la souveraineté.

L'intervention d'un représentant du Secrétaire Général des Nations Unies a permis de trouver des compromis. Un gouvernement iraquien de transition avec un Président et un Premier Ministre a été nommé qui a reçu, symboliquement, les instructions de la souveraineté le 28 juin 2004. Le gouvernement est composé de personnalités politiques.

            Le Conseil de Sécurité des Nations Unies avait donné son accord à cette séquence dès le 8 juin par sa résolution 1546. Une mission des Nations Unies en Iraq (UNAMI) est censée assister les autorités iraquiennes dans la préparation des élections censées se dérouler au mois de février 2005. Une conférence  nationale de 1000 délégués désignés par les forces vives du pays s'est tenue à Bagdad au mois de juillet qui a désigné en son sein un Conseil consultatif qui remplit des fonctions législatives limitées.

            Il est permis de se demander si ce dispositif institutionnel qui s'appuie qur la présence en Irak de force armées étrangères dispose effectivement de tous les attributs de la souveraineté Etatique. Il a été reconnu par la communauté internationale comme disposant du statut international de souveraineté. Mais, tant que n'interviendra pas une consultation démocratique incontestable, des doutes vont subsister sur sa légitimité intérieure. La construction d'un ordre civil démocratique apparaît comme une tâche de longue haleine qui paraît difficile à engager dans un contexte de violence soutenue. Elle suppose la mise en place de forces de sécurité iraquiennes crédibles et efficaces.

 

 

B/ L'exercice de la souveraineté dans un Etat moderne, la pratique française

 

            La France est un Etat-nation ancien solidement ancré dans la pratique d'un Etat moderne attaché à sa souveraineté. Elle est aussi un Etat très engagé dans la définition de normes internationales, au sein de l'Union Européenne et au sein d'autres organisations internationales. A ce titre, elle est amenée à transcrire dans son droit interne de nombreux textes adoptés dans le cadre d'instances multilatérales et à transférer certaines compétences à des institutions internationales.

 

a) Le cadre constitutionnel

            Plusieurs dispositions du préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie la Constitution de 1958 définissent en droit public français les conditions de l'intégration en droit interne des normes adoptées dans le cadre du droit international. L'alinéa 14 prévoit que "la République Française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international…"L'alinéa 15 prévoit que "sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix".

            Le premier alinéa du préambule de la Constitution de 1958 dispose que "le peuple français proclame solennellement son attachement au principe de la souveraineté nationale". En vertu de l'article 54 de la Constitution "si le Conseil Constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier Ministre, par le Président de l'une ou l'autre Assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après la révision de la Constitution".

            L'article 55 dispose que "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie.

            Ainsi l'introduction des traités en droit interne français est subordonné à trois conditions : le traité ou accord doit être régulièrement ratifié ou approuvé, il doit être publié au journal officiel, il n'aura une autorité supérieure à celle des lois que sous réserve de réciprocité.

            Le Conseil Constitutionnel a été amené à se prononcer sur la constitutionnalité de plusieurs traités internationaux, en particulier les Traités de Maastricht et d'Amsterdam, dont il a été constaté dans chaque cas qu'ils contenaient des dispositions qui "affectaient les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale". La qualification juridique d'atteinte portée à la souveraineté nationale tient compte de la nature des domaines en cause. Il doit s'agir de matières régaliennes, qui sont au cœur de la souveraineté nationale comme la monnaie ou l'ordre public. Les modalités de transfert de compétence sont également examinées. Le Conseil a, par exemple, estimé que la substitution à terme de la règle de la majorité qualifiée à elle de l'unanimité au sein du Conseil de l'Union Européenne pour certaines matières exigeait une modification de la Constitution car elle privait chaque pays du pouvoir d'empêcher un tel transfert.

            L'article 88-1 de la Constitution, adopté à l'occasion de la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht, dispose que les Etats de l'Union Européenne ont choisi "d'exercer en commun certaines de leurs compétences". L'article 88-4 a doté le Parlement français de moyens de contrôle spécifiques sur les affaires européennes. Le gouvernement doit soumettre à l'Assemblée Nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union, les projets ou propositions d'actes de l'Union Européenne qui comportent des dispositions de nature législative ou qui peuvent donner lieu à une prise de position parlementaire.

 

 

b) La souveraineté partagée au sein de l'Union Européenne

 

            Les Traités successifs qui, depuis le Traité de Rome en 1958, ont mis en place les institutions européennes attribue à l'UE un certain nombre de compétences. Certaines d'entre elles relèvent exclusivement de l'Union, d'autres constituent des domaines de compétence partagée.

Dans ces domaines, l'Union et les Etats membres ont le pouvoir de légiférer et d'adopter des actes juridiquement obligatoires que les Etats membres sont tenus d'appliquer directement (règlements) ou de transcrire dans leur droit interne (directives).

            Les compétences exclusives de l'Union portent sur les règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur, la politique commerciale commune, l'Union douanière, la conservation des ressources biologiques de la mer, la politique monétaire pour les Etats membres qui ont adopté l'euro.

            Les domaines où la compétence est partagée sont nombreux en matière de marché intérieur, d'agriculture, d'aides régionales, d'espace de libertés, de sécurité et de justice.

            La question de la hiérarchie des normes, c'est à dire de la place du droit communautaire par rapport au droit national interne a été progressivement clarifiée par les jurisprudence de la Cour de justice (CJCE avant le projet de constitution) et celle du Conseil d'Etat et de la Cour de Cassation en France.

            La primauté du droit de l'Union Européenne, affirmée dès ses origines par la CJCE, est désormais reconnue par les juridictions intérieures. La CJCE a estimé, de longue date, que les traités constitutifs, loin de n'être "qu'un accord qui ne créerait que des obligations mutuelles entre les Etats contractants" (CJCE, 5 février 1963, arrêt Van Gend et Loos), instituent "un ordre juridique nouveau qui règle les pouvoirs, droits et obligations (des sujets auxquels ils s'appliquent) ainsi que les procédures nécessaires pour faire constater et sanctionner toute violation éventuelle" (CJCE, 13 novembre 1964, Commission contre Luxembourg et Belgique).

Dans une série d'arrêts qui ont culminé l'arrêt Nicolo (20 X 1989), le Conseil d'Etat admet qu'en cas de conflit entre une loi ordinaire et une directive, les dispositions du traité prévalent sur une loi adoptée postérieurement à l'adoption de la directive.

Dans une décision du 15 juin 2004, le Conseil Constitutionnel statuant au sujet d'un texte de loi sur l'économie numérique, a parachevé l'évolution de la jurisprudence du côté français. Il a rappelé que "la République participe aux Communautés européennes et à l'Union Européenne, constitués d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences". Le juge constitutionnel estime des lois, "qu'il n'appartient qu'au juge communautaire (…) de contrôler le respect, pour une directive communautaire tant des compétences définies par les traités que des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du traité sur l'Union Européenne. Le Conseil constitutionnel en conclut que "la transposition en droit interne d'une exigence communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle". Il ne saurait donc y avoir de contrôle de constitutionnalité d'une directive à l'occasion de l'examen de la loi qui la transpose.

De fait, la part du droit d'origine communautaire dans le droit interne français ne cesse de s'élargir.

            Chaque année, le Conseil d'Etat est amené à examiner de 300 à 400 propositions d'actes communautaires dans le cadre de la procédure de l'article 88-4 de la Constitution pour transmission au Parlement. 50% de ces textes relèvent du niveau législatif. Pour les textes qui relèvent du pilier "justice et affaires intérieures" cette proportion atteint 60%. Pour une production du domaine législatif de 107 textes en 2003 (textes examinés par l'Assemblée Générale du Conseil d'Etat), on compte 61 accords internationaux dont une forte majorité de textes d'origine communautaire.

 

            L'ampleur et la rapidité des évolutions concernant les conditions d'exercice de la souveraineté nationale dans un Etat engagé dans la construction européenne suscitent des réticences et des débats politiques au sein des Etats membres. Il convient de rappeler que les transferts de souveraineté ne touchent pas un certain nombre de domaines clés comme les relations extérieures et la défense (PESC, PESD). Ceux-ci relèvent de la coopération intergouvernementale et du deuxième pilier et ne couvrent qu'une partie assez modeste du champs d'activité des Etats membres dans leur champs. Là où elles interviennent, les décisions ne peuvent être prises qu'à l'unanimité des Etats membres.

            La nature de l'Union Européenne reste très composite. Certaines compétences exclusives et certaines institutions comme la Commission la Cour de Justice et la Banque centrale, s'inscrivent dans une logique fédérale qui suppose un transfert permanent d'éléments de la souveraineté nationale. D'autres, en revanche, comme le pouvoir législatif qui reste largement entre les mains du Conseil des Ministres et du Parlement Européen ainsi que la pratique des compétences partagées se rattachent plutôt à une inspiration confédérale qui préserve mieux les compétences des Etats-nations souverains. On notera que le projet de Traité établissant une Constitution pour l'Europe ne contient pas de référence au mot souveraineté. Elle se contente de dire dans son article 1 "Inspirée par la volonté des citoyens et des Etats d'Europe de bâtir leur avenir commun, cette Constitution établit l'Union Européenne, à laquelle les Etats membres confèrent des compétences pour atteindre leurs objectifs communs…"

 

 

3- les frontières de la souveraineté

 

A/ La question des Etats défaillants

 

Il existe des aires géographiques dépourvues d’Etat parce que celui-ci s’est disloqué à la suite de conflits civil ou autres. L’Etat y est défaillant, il n’exerce pas de contrôle de son espace et des populations dont il a, théoriquement, la responsabilité. Il y a défaut d’exerce de la souveraineté par une autorité publique.

            Ainsi, en Afrique, plusieurs espaces précédemment dotés d’un appareil étatique connaissent de graves perturbations à la suite de conflits internes prolongés et ne sont plus soumis à l’autorité effective de l’Etat (Somalie, Sierra Leone, Liberia, sud Soudan). La situation de la République Démocratique du Congo où sont présentes à la fois des forces issues des pays voisins et des groupes politiques disposant de milices armées, est un exemple de cet écartèlement du territoire d’un Etat et de l’affaiblissement de ses institutions centrales.

            Parfois, l’effondrement de l’Etat s’expliquera moins par des rivalités ethniques que par le jeu criminel des trafiquants et des délinquants internationaux, qui fera que des zones entières lui échapperont et seront gérées par des cartels de la drogues, aux réseaux et moyens financiers considérables : on songe ici à la situation qui prévaut dans certaines régions de la Colombie et du Myanmar ( ex-Birmanie).

            Dans le même ordre d’idée, la piraterie connaît une recrudescence inquiétante en mer de Chine et dans les territoires d’Asie du Sud Est.

            Cette dégradation de la souveraineté interne de ces Etats est susceptible de déboucher sur des restrictions à leur souveraineté externe, comme l’illustre tout le débat contemporain sur l’existence ou non d’un droit d’ingérence. A la limite, la communauté internationale, tirant ses conséquences de la quasi-disparition de l’Etat, sera tentée de prendre en charge le nouveau territoire sans maître où l’anarchie s’est substituée à la souveraineté, pour tenter de rétablir l’ordre et d’aider à la restauration de ces Etats. Par conséquent, il ne s’agit même plus ici d’une ingérence au service de la souveraineté défaillante (hypothèse dans laquelle un Etat sollicite une intervention extérieure, quelle soit politique, économique ou militaire pour consolider son assise), mais une ingérence à la place d’une souveraineté en déshérence.

            L’action internationale menée en Somalie en 1991 en application de la résolution 794 du Conseil de sécurité, pour laquelle plus de 30 000 hommes ont été envoyés sur la base du chapitre VII de la Chartre pour assurer la sécurité des opérations de secours humanitaires, a montré à la fois les mérites et les faiblesses de ce types d’initiative. En l’espèce, tout s’est passé comme s’il n’y avait plus d ‘Etat somalien puisque celui-ci n’était pas le bénéficiaire de la résolution précitée (à la différence de la résolution 688 visant à contraindre l’Irak à mettre fin à des pratiques contre les Kurdes jugées contraires aux principes humanitaires). La résolution 794 s’adressait « à toutes les parties, tous les mouvements et toutes les factions en Somalie », ce qui conférait à ces factions un rôle d’interlocuteur qui n’est pas au courant dans les relations internationales. Il est significatif de noter que dans cette affaire l’article 2 paragraphe 7 de la Chartre n’a pas été mentionné et qu’aucun Etat n’a protesté contre une violation de souveraineté.

 

B/ Les dérives américaines

 

Les Etats-Unis ont contribué plus que tout autres pays au visage du droit international contemporain et à la fondation des grandes organisations internationales dont l’ONU. Leur politique, aboutit aujourd’hui a le remettre en cause sur de nombreux points.

            A partir du Président Wilson, les Etats-Unis choisissent de projeter sur le monde extérieur les valeurs qui fondent l’ordre politique américain à l’intérieur : supériorité des valeurs morales, démocratie et droit des peuples à disposer d’eux-même, attachement à la règle du droit, inadmissibilité des changements par la force. La société des nations voulu par le Président Wilson puis l’Organisation des Nations Unies fondée par la Conférence de San Francisco sont les deux institutions a vocation universelle issues de cette démarche. Jusqu’au milieu des années 1990, les EU sont les instigateurs d’une approche multilatérale des problèmes internationaux et soutiennent la mise en place d’un réseau très dense d’organisation internationales et de traites multilatéraux. Ils sont ainsi l’élément moteur des progrès d’un droit international qui encadre la souveraineté des Etats (contrôle de s armements, commerce, environnement, droits de l’homme). Leur influence s’exerce au sein des organisation multilatérales ou ils suscitent des majorités et des coalitions acquises à leurs vu et encouragent l’adoption de textes ambitieux au niveau universel (Pacte des droits civiles et politiques, Pactes sur les droits économiques et sociaux). Sans aller jusqu’au partage des souverainetés qui s’esquisse dans les accords européens, cette démarche a représenté une disposition à utiliser la puissance considérable dont disposent les Etats-Unis avec retenue, dans un cadre négociés avec les autres Etats pour renforcer la dimension juridique de l’ordre international. Elle constitue une forme d’autolimitation par les Etats-Unis de leur souveraineté et de leur capacité d’agir par eux-même.

            Il est vrai que les exceptions à cette démarche ont été nombreuses en particulier dans le domaine du recours à la force chaque fois que les intérêts américains étaient directement mis en jeu. Cette approche a cependant fondé un ordre international construit autour du jeu d’institutions multilatérales et de processus de concertation entre les Etats qui a beaucoup bénéficié aux alliés des Etats-Unis et a permis l’émergence d’une communauté internationale autour d’un certain nombre de règles de référence.

 

Les conditions de bases de cet engagement des EU en faveur du droit dans les relations internationales ont commencé à changer dans les dernières années du siècles dernier avec l’arrivée aux affaires de nouvelles élites inspirées par des idées différentes de celles de leurs prédécesseurs. Les républicains conservateurs, disposant de la Présidence et d'une majorité au Congrès sont réservés à l’idée que le droit international puisse lier les mains aux Etats-Unis et attachés à un exercice discrétionant de la puissance américaine. Ils n’excluent de remettre en cause certaines dispositions existantes jugées trop défavorable aux intérêts américains y compris le rôle éminent de l’ONU comme régulateur des crises. Ainsi, en dépit des efforts de l’administration Clinton, le congrès adopte-t-il les Lois Helms-Burton et d’Amato qui prétendent imposer des sanctions à des entités non-américaines en raisons de leurs activités effectuées par elles en dehors des EU. L’Etat d’esprit envers les obligations du droit international devient négatif, des engagements existant sont dénoncés (traite ABM), des engagements multilatéraux nouveaux refuses ( Convention sur le droit de la mer, traite d’Ottawa sur l’interdiction des armes biologiques, Cour pénale internationale, Protocole de Kyoto).

            Les événements du 11 septembre 2001 ont accentué cette tendance. Pour les inspirateurs de l’administration Bush, les Etats-Unis, dans la mission qu’ils remplissent au bénéfice de l’ensemble de la communauté internationale, ne peuvent se laisser lier les mains par un système multilatéral de sécurité. Menacés par les terroristes, les USA doivent pouvoir réagir comme ils l’estiment nécessaire. Les citoyens américains et les dirigeants américains ne sauraient être mise en cause par des tribunaux internationaux. En revanche, les USA peuvent réagir de façon préemptive quand leur sécurité est en cause sans tenir comptes de la souveraineté des autres Etats ou de leurs engagements préexistants. Des tribunaux d’exceptions et un dispositif carcéral sans précédent sont mis en place pour combattre le terrorisme au niveau global.

Les conséquences de ce retournement américains sont considérables pour le droit international et la pratique de la souveraineté. L’ordre multilatéral des Etats et des normes de droit peut-il survivre si la principale puissance du monde le conteste ouvertement ? Peut-on imaginer un monde à deux vitesse ou la puissance dominante serait libre d’agir hors de toute contrainte pour protéger sa souveraineté alors que les autres Etats seraient soumis aux régimes du droit et des institutions multilatérales ? Le mouvement progressif de limitation ds souveraineté nationales se trouve remis en cause s’il perd son instigateur et son soutien principal. La question de la souveraineté américaine est désormais au cœur de l’avenir du droit international.


 

Suggestions de lecture

 

- COOPER Robert, The breaking of nations, 2004

 

- KRASNER Stephen, Sovereignty, organised hypocrisy, Princeton University Press, 1999.

 

- ROBIN Gabriel, Entre Empire et nations, Odile Jacob 2004.

 

- SAURON Jean-Luc, L’application du droit de l’Union Européenne en France, Le Documentation Française.

 

 

 

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