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L'Amerique latine dans les relations internationales - Relations internationales - Geopolitique - Analyse des dynamiques régionales

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L'Amerique latine dans les relations internationales

 

Le concept même d'Amérique latine est un concept piégé. Il a été forgé sous le Second Empire à l'époque où, la France se lançant dans l'aventure mexicaine, entendait ne pas faire référence au caractère espagnol et portugais de l'Amérique centrale et du sud, et souhaitait simultanément accentuer la différence entre cette partie du monde et l'Amérique du nord anglo-saxonne [1].

 

Le concept d'Amérique latine ne s'est imposé que par le rayonnement culturel de la France de l'époque, qui jusque vers le milieu du XXème siècle a pratiquement formé toutes les élites latino-américaines (comme elles se forment aujourd'hui aux Etats-Unis), et n'a vraiment de sens que dans le domaine culturel. Dans le domaine politique, il n'y a aucune traduction du concept d'Amérique latine, terme qu'on utilise d'ailleurs fréquemment au pluriel. Le seul concept un peu opératoire serait celui de panaméricanisme, qui est un concept nord-américain, insistant sur l'union avec l'Amérique du Nord de nations qui ont longtemps eu tendance à regarder vers l'Europe : un pays comme l'Argentine s'est longtemps considérée comme "l'Europe de l'Amérique", ce qui le poussait d'ailleurs à une certaine arrogance envers ses voisins "tropicaux" ou "indianisés", y compris au détriment de ses propres intérêts. Le latino-américanisme, à savoir le rêve bolivarien d’un maintien de l’unité de l’Amérique espagnole après les indépendances s’est fracassé dés 1826 (échec du congrès de Panama, qui fit dire à Bolivar « J’ai labouré la mer »).

 

La culture politique des  pays d'Amérique latine se distingue de celle  des pays d'Afrique et d'Asie en ceci qu'ils ont été à la fois colonisés pendant plus longtemps (trois siècles, contre moins d'un siècle pour la plupart des pays africains et asiatiques), et indépendants depuis plus longtemps que ces derniers : l'Amérique latine (sauf Cuba) est en fait devenue indépendante avant qu'on commence à coloniser sérieusement l'Afrique et l'Asie. En outre, les cultures locales ont été pratiquement éradiquées (à défaut d'éradiquer les populations indigènes qui sont aujourd'hui encore majoritaires dans plusieurs de ces pays[2],  généralement caractérisés cependant par un profond métissage), en sorte que ces pays sont plus profondément européanisés que ceux que l'Europe a occupé plus récemment mais plus brièvement. L’intégration nationale, y compris des minorités ethniques, a également pu se faire dans de meilleures conditions qu’en Afrique, et de toutes façons elle est plus ancienne : si les minorités indigènes sont encore victimes de discriminations ou incomplètement intégrées socialement, aucun Etat d’Amérique latine n’est menacé de manière crédible par des problèmes ethniques. [3]

 

Dans le domaine économique, l'Amérique latine s'est à la fois plus anciennement et plus superficiellement intégrée aux circuits de l'économie mondiale au cours du XIXème siècle. En fait, un pays comme l'Argentine semblait au début des années 1920, devoir rapidement rejoindre le groupe des pays les plus développés, et même encore en 1945, ses chances paraissaient réelles. La crise de 1929 d'une part, la persistance d'une structure sociale de type colonial d'autre part (les pays d'Amérique latine n'ont pas connu de vraies révolutions démocratiques, ni surtout d'évolution sociologique et culturelle favorables à la démocratie,  à aucun moment de leur histoire), en ont décidé autrement.

 

L'Amérique latine donne ainsi l'impression d'un continent qui n'aurait connu qu'une demi-évolution, aboutissant à un système économique semi-développé, un système politique semi-démocratique, une société socialement semi-arriérée. Ils restent aujourd'hui, dans l'ensemble, plus développés économiquement que les pays africains et asiatiques ("dragons" exceptés), mais moins bien dotés, au moins par rapport à l'Asie, pour le progrès futur du fait de la persistance d'une structure sociale de type colonial : dans tous ces pays, une petite minorité concentre l'essentiel de la richesse, et pas seulement de la richesse foncière[4], mais aussi de la richesse industrielle et culturelle, laissant la masse de la population à l'écart de tout progrès économique et social, voire de toute participation politique consciente. En ce sens, la situation de l'Amérique latine est moins favorable que celle de pays d'Asie comme l'Inde. La guerre froide, en poussant les Etats-Unis à bloquer tout changement social dans les pays d'Amérique latine, de peur de faire le jeu du communisme, a provoqué une sorte de "glaciation" qui est aujourd'hui un des éléments les plus importants du "retard relatif" de l'Amérique latine par rapport au reste du monde occidental auquel indubitablement elle appartient (ce qu'on ne pourrait dire ni de l'Asie, ni de l'Afrique). Il n'est pas interdit de penser que sans ces blocages, l'Amérique latine aurait pu évoluer vers des formes politiques et économiques semblables à celles de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande auxquelles ces pays ressemblaient relativement encore dans les années 1920.

 

 

I - Les deux tendances à long terme : panaméricanisme et latinoaméricanisme

 

                On appelle panaméricanisme l'idée selon laquelle l'ensemble des Etats de l'Amérique du Nord et de l'Amérique du Sud devraient constituer une seule "famille" disposant d'institutions communes et poursuivant des buts économiques et politiques identiques. Le latinoaméricanisme est au contraire l'idée selon laquelle les pays d'Amérique latine auraient une personnalité propre, différente de celle de l'Amérique du Nord anglo-saxonne et devraient chercher à s'organiser un commun destin sans elle. Le panaméricanisme est une idée  née aux Etats-Unis et historiquement liée à leurs tentatives de contrôle de l'Amérique latine, le latinoaméricanisme est une idée quelque peu romantique, incarnée au début par Bolivar, mais qui n'a cessé de hanter l'intelligentsia des pays d'Amérique latine, sans grand succès pratique cependant.

 

Indépendamment de ces idéologies, où se situe concrètement l'Amérique latine dans les relations internationales ? Il est à la fois simple et compliqué de répondre à cette question : on peut soutenir que l'Amérique latine est un appendice de l'occident en général et des Etats-Unis en particulier mais on pourrait aussi affirmer qu'elle ne se situe nulle part car c'est en fait un "non-être" politique en tant que tel (ce qui reviendrait à dire, dans la ligne du latinoaméricanisme qu'il s'agit d'une entité particulière, qui se situe "ailleurs"). L'Amérique latine relève sans doute culturellement de l'occident et cependant elle ne prend pas fait et cause pour l'occident. Elle a été totalement absente des deux conflits mondiaux (malgré des déclarations de guerre symboliques à l'Allemagne[5]), elle ne participe pas véritablement  à la politique internationale : l'Amérique latine se signale surtout dans l'actualité internationale par des initiatives visant à l'abstraire des relations internationales plutôt que par son implication. L'adhésion d'un certain nombre de ses Etats au mouvement des non-alignés[6] ou au groupe de 77 va relativement à l'encontre de son appartenance au camp occidental. Sa constitution en zone exempte d'armes nucléaires (traité de Tlatelolco) alors que sévissait la guerre froide, manifestait également sa volonté de ne pas s'impliquer dans ce qui était alors la grande affaire des relations internationales.Une des clés de cet apparent retrait de l'Amérique latine des relations internationales tient sans doute au fait que les Etats-Unis agissent pour elle, en lui garantissant une sécurité que ne peut troubler que ses propres conflits internes.

 

                A- Le panaméricanisme

               

                Le panaméricanisme est une idée nord-américaine. En effet l'Amérique latine ne s'est jamais intéressée à l'Amérique du Nord, c'est plutôt l'Amérique du Nord qui a jeté un regard, prédateur en l'occurrence, sur l'Amérique latine. On peut résumer la genèse de l'idée panaméricaine comme suit :

 

                 La doctrine de Monroe (1823) contenait un germe de panaméricanisme : elle signifiait en effet à la fois que l'Europe ne devait plus intervenir en Amérique, mais que les Etats-Unis entendaient bien en devenir la puissance dominante, en principe non impérialiste.  L'évolution historique du concept peut se résumer rapidement :

 

                - Les Etats-Unis se sont largement formés en absorbant une part importante de l'Amérique latine, notamment 2,2 millions de km2 de territoire mexicain en 1845 (soit un quart du territoire américain actuel, sans compter la Floride qui fut rachetée contre espèces à son colonisateur européen).

                - la politique américaine au XIXème siècle a été de considérer la mer du Mexique (ou le Golfe de Floride) comme une zone d'intérêts américains prédominants. Cette politique aboutira notamment à la guerre hispano-américaine de 1898 aux termes de laquelle les Etats-Unis mettront Cuba sous tutelle, et s'adjugeront Porto-Rico et les Philippines (le contrôle des espaces maritimes adjacents aux Etats-Unis étant considéré comme une question de sécurité nationale, raison pour laquelle les Etats-Unis occuperont également la Micronésie et les possessions allemandes du Pacifique après la première guerre mondiale)

                - le "corollaire Roosevelt" à la doctrine de Monroe (1904) attribuait à Washington un droit de police générale dans toute l'Amérique latine[7].

 

La politique de Washington à l'égard de l'Amérique latine balance entre le panaméricanisme idéologique ("fraternité américaine" fondée sur le rejet des colonisations européennes), lancé à la conférence de Washington en 1889 (création de l'Union Panaméricaine en 1890), et la politique du "big stick" : coopération si possible, domination si nécessaire, mais toujours dans le sens de la promotion des intérêts des Etats-Unis, à moins bien sûr de considérer que le "panaméricanisme " n'est que l'habillage idéologique de la politique du "big stick", et le fait est que les deux ont toujours marché de conserve.

 

Un tel régime devait inhiber la participation à la politique mondiale de pays dont la première préoccupation était d'exister en tant que tel à côté ou malgré le grand voisin du nord. La politique américaine, telle que la résumait le président Truman ("un hémisphère fermé dans un monde ouvert") donne bien la mesure de ce que pouvait être la place de l'Amérique latine dans la politique mondiale : un "acteur passif", un simple spectateur, aligné en tout sur les positions du gouvernement de Washington.

 

La création de l'Organisation des Etats Américains en 1948 (succédant à l'Union Panaméricaine), entièrement dominée par les Etats-Unis, et le Traité Interaméricain d'Asssistance Réciproque, qui plaçait l'Amérique latine sous la "protection" américaine, assuraient le protectorat américain sur la région et fournissait le cas échéant la couverture aux interventions nord-américaines dans les pays-membres (Guatemala en 1954, République Dominicaine en 1965). Cette période (1948-65) fut celle de l'apogée du projet panaméricain inspiré par les Etats-Unis. L'expulsion de Cuba de l'OEA était ainsi dans la logique du projet américain sur cette organisation, prenant acte que ce pays ne faisait plus partie de la sphère d'influence de Washington. L'OEA a été assez justement décrite par une fable populaire : "le requin et les sardines".

 

Cependant si "panaméricanisme" et "big stick" n'étaient pas forcément contradictoires dans la vision politique des Etats-Unis, le second devant être utilisé pour étendre l'influence bienfaisante de l'Etat le plus développé de la région sur ses voisins du sud, avec une bonne conscience à peu près équivalente à celle avec laquelle les Européens de la même époque bâtissaient des empires coloniaux au nom de leur "mission civilisatrice" (France) ou du "Fardeau de l'homme blanc" (Royaume-Uni), il n'en allait pas de même du point de vue des latino-américains. Le "big stick" a fini par ruiner l'idée panaméricaine, ne serait-ce que parce que l'un de ses principes, dûment enregistré dans l'acte fondateur de l'OEA, était le respect de l'indépendance et de la souveraineté de ses membres. Or au contraire, les Etats-Unis utilisaient l'OEA comme caution morale pour leurs interventions contre ces indépendances quand elles se manifestaient à l'encontre des intérêts de Washington. L'intervention en République Dominicaine de 1965, venant après de nombreuses autres, marque à cet égard un tournant, et on vit après cette date une certaine remontée de l'idée latinoaméricaine.

 

La politique "panaméricaine" de Washington ne se résume cependant pas à une gestion quasi-coloniale de l'Amérique latine, considérée comme une sorte d'empire informel des États-Unis. Il y eut aussi de véritables projets de  "coopération interaméricaine" : "Alliance pour le progrès" de Kennedy (1961), et plus tard de l'"Initiative pour les Amériques" de Bush père (1990) qui sont loin d'avoir convaincu parce que leur finalité n'était que la défense des intérêts nord-américains : l'Alliance pour le Progrès avait l'ambition à l'origine d'être une sorte de Plan Marshall évitant à l'Amérique latine la contagion communiste en y favorisant le développement économique et la démocratie libérale comme cela avait été fait en Europe. Mais la guerre du Vietnam déclenchée tout de suite après mobilisa les ressources qui auraient pu lui être affectées[8], et Washington pouvait atteindre le but qu'il poursuivait simplement en soutenant des dictatures militaires dans les différents Etats, ce qui fut fait sans hésitation jusqu'au début des années 1980 : dans les 5 premières années qui suivirent la Charte de Punta del Este (17 août 1961) qui lançait l'Alliance pour le Progrès, 8 coups d'Etat eurent lieu contre des régimes démocratiques (Argentine, Pérou, Guatemala, Equateur, République Dominicaine (2 fois), Honduras, Brésil) dont certains avec l'appui politique ou militaire des Etats-Unis (Brésil 1964, République Dominicaine 1964) et d'autres avec leur "bienveillance" (Argentine 1962, Guatemala et Equateur 1963).

 

La guerre froide a ainsi durablement ruiné l'idée panaméricaine, parce qu'elle a amené les Etats-Unis, pour "protéger" l'Amérique latine du communisme, à y tolérer voire à y favoriser l'instauration de régimes anticommunistes durs. On distingue en général deux types de régimes qui ont eu ainsi les faveurs de Washington :

 

                1-le type le plus ancien est le "caudillisme", dictature de type classique, servant les intérêts d'une oligarchie traditionnelle favorable au maintien des formes classiques de la propriété (qu'on a du mal cependant à définir comme "capitaliste" car il s'agit souvent de régimes de type colonial traditionnel, fondés sur la grande propriété foncière dans le cadre d'économies essentiellement agricoles, et politiquement sur une oligarchie formée de la réunion de ces grandes familles dont la fortune remonte souvent aux origines coloniales). A l'extrême, une seule famille ou un seul homme peut ainsi contrôler tout un pays qu'il gère pratiquement comme sa propriété privée (les Somoza au Nicaragua, les Duvallier en Haïti, Stroessner au Paraguay).

 

                2- un type plus récent de dictature,qui apparaît généralement après 1968, à une époque où l'on craint la contagion castriste en Amérique latine (cf l'"épopée" d'Ernesto "Che" Guevara) est le régime, généralement militaire, visant à l'éradication de toute pensée "communiste" (terme qui recouvre toute opposition au maintien de l'ordre existant, y compris dans certains cas la pensée démocrate-chrétienne). Les Etats-Unis ont largement contribué à la diffusion de l'idéologie de la "sécurité nationale" et de la guerre contre l'"ennemi intérieur" (la subversion communiste), induisant  un climat de guerre civile, les régimes de ce type ayant tendance à se considérer comme effectivement en guerre contre une partie au moins de leur propre population, et la traitant comme telle. Les régimes instaurés par le Colonel Banzer (Bolivie, 1971, pendant 11 ans), le Général Pinochet (Chili, 1973, pendant 17 ans), la junte militaire uruguayenne (1973, pendant 11 ans) le général Bermudez (Pérou, 1975, pendant 5 ans), et les  juntes militaires Argentine (Videla, 1976, pendant 7 ans) et Equatorienne (1976, pendant 3 ans), voire le régime militaire brésilien (1964, pendant 21 ans) relèvent de cette logique, de même que l'appui aux "contras" ("contre-révolutions") du Nicaragua et du Salvador dans les années 1980.

 

                Une telle compréhension du panaméricanisme, selon laquelle tout le continent américain devait appartenir au "monde libre" et donc être exempt de communisme, Cuba étant isolé par le cordon sanitaire d'un embargo politique et économique, n'était pas pour donner aux populations latino-américaines la sensation d'une attitude particulièrement "fraternelle" de Washington à leur égard, et la popularité de l'idée panaméricaine en Amérique latine n'a jamais été considérable.

 

Pour le reste, la politique des Etats-Unis à l'égard de l'Amérique latine fut plutôt celle du "benign neglect"[9] et le refus de toute politique d'ensemble à son égard[10]. A partir de 1965, les pays latino-américains se laissèrent séduire[11] par les projets de développement autocentré de la CEPAL (Commission économique pour l'Amérique latine, de l'ONU) qui devaient conduire à une impasse économique, coupant relativement le sous-continent du reste du monde, et notamment de l'Europe ( qui de toutes façons mettait en place à l'époque une Politique Agricole Commune fermant ses marchés aux exportations traditionnelles de l'Amérique latine).

 

L'épisode de la présidence Carter apparaît peu significatif, à la fois parce qu'il fut bref et incohérent : le président Carter avait en effet essayé d'introduire un nouveau cours dans la politique latino-américaine des Etats-Unis, notamment en organisant la "décolonisation" du canal de Panama[12], mais cette politique plus ouverte tourna court car elle créait des tensions avec les régimes autoritaires que ses prédécesseurs avaient mis en place (régimes militaires au Chili et au Brésil en particulier : les industries de guerre américaine y perdirent des contrats importants sans que la situation s'améliore; l'Argentine refusa de s'associer en 1980 aux sanctions économiques contre l'URSS, consécutives à l'invasion de l'Afghanistan en 1979). En outre, elle aboutit même à une catastrophe au Nicaragua dont la famille dictatoriale (Somoza) avait été "lâchée" par Washington, sans aucun bénéfice, bien au contraire, pour les intérêts américains : le régime sandiniste qui succéda à la dictature somoziste fut nettement prosoviétique, et la guerre civile qui suivit sa mise en place, jusqu'à l'éviction des sandinistes lors des élections de 1990 fit 60.000 morts. La déstabilisation s'étendant au Salvador voisin y causa une guerre civile de même durée qui fit environ 70.000 morts. Le Guatemala subit également le contrecoup de ces guerres avec une guerre civile larvée qui confina à l'ethnocide de certaines populations indiennes par les dictateurs successifs.

 

La présidence Reagan devait en revenir aux méthodes du "big stick" sans états d'âme : intervention à la Grenade en 1983, appui sans faiblesse à la "contra" Nicaraguayenne et Salvadorienne, appui à la Grande-Bretagne contre l'Argentine dans l'affaire des Malouines (1982) en violation et de la Charte de Bogota et de la doctrine de Monroe. Au total, l'OEA n'a à son actif aucun règlement d'un conflit sur le continent américain (même la guerre civile salvadorienne s'est conclue en 1992 par un accord signé sous les auspices du Secrétaire Général de l'ONU). Le président Bush (père) poursuivit cette politique du "gros bâton" (intervention "Juste Cause" au Panama, pour y enlever le chef d'Etat en exercice et le faire juger par un tribunal américain !). Le "Projet pour les Amériques" arriva à une période économique difficile pour les Etats-Unis et alors que l'effondrement de l'URSS rendait moins nécessaire que jamais les efforts pour préserver le reste du continent d'une contagion communiste qui n'était plus qu'une menace fantôme.

 

                B- Le latinoaméricanisme

 

                Le latinoaméricanisme politique avait fait long feu pratiquement dés le début : l'éclatement de l'ancien empire espagnol d'Amérique s'est avéré irrémédiable, et certains aspects de la politique nord-américaine devaient même l'aggraver (c'est ainsi que les Etats-Unis appuyèrent sinon suscitèrent la sécession  de la province de Panama qui quitta la Colombie en 1903 pour devenir un Etat qui s'empressa de donner à bail de 99 ans aux Etats-Unis la zone dans laquelle devait être creusé le canal interocéanique depuis longtemps réclamé par les milieux d'affaires américains comme le moyen le plus économique de transporter leur production de la côte est des Etats-Unis vers la côte ouest et vers l'Asie).

               

                C'est donc essentiellement dans le domaine économique que l'Amérique latine s'est forgée une personnalité propre, alors que dans le domaine culturel elle restait presque imperméable à l'influence des Etats-Unis (toutes les élites latino-américaines du XIXème siècles se forment à la française ou plus rarement à l'anglaise). Le modèle du "businessman" nord-américain n'aura jamais cours en Amérique latine, où l'on préférera toujours celui du propriétaire terrien tirant de biens immenses non seulement sa richesse mais une influence politique, un droit à gérer les affaires du pays, un peu comme durant la période coloniale les contrée latino-américaines étaient données en "encomienda" ("commende" ou commandite) à des seigneurs de la Cour d'Espagne.

 

                L'économie des pays latino-américains, ouverte au commerce international au début du XIXème siècle par les indépendances, reposa toujours sur l'exportation de produits primaires, parfois par "cycles" comme au Brésil (cycle de l'or au XVIIIème siècle, cycles du  sucre, du coton, du café, du caoutchouc à la fin du XIXème siècle...). Ces monoproductions rendaient les pays latino-américains très dépendants de la conjoncture européenne en même temps qu'ils les fermaient à toute industrialisation réelle (la demande industrielle était faible, et la demande de biens de consommation était limitée aux besoins des oligarchies[13], le reste des populations demeurant dans le cadre d'une économie vivrière et autarcique, comme à l'époque coloniale).

 

                La première guerre mondiale n'entraîna pas une véritable industrialisation de l'Amérique latine, alors même que ces pays ne pouvaient plus importer d'Europe les produits manufacturés contre lesquels jusque là ils échangeaient leurs produits primaires. Elle induisit seulement un déplacement des flux commerciaux vers les Etats-Unis et une relative prospérité latino-américaine dans la mesure où l'Europe dut importer davantage de produits agricoles dans les années de guerre.

 

                Seules les oligarchies dirigeantes avaient les moyens de l'investissement industriel, auquel elles ne recouraient cependant que relativement peu étant donné l'étroitesse de marchés internes solvables, qui était la conséquence d'une très inégale répartition des richesses. L'absence de classe moyenne est en effet une constante de l'Amérique latine de cette époque, voire de l'Amérique latine actuelle. En outre ces oligarchies n'étaient nullement favorables à l'ouverture de pays, qu'elles avaient toujours étroitement contrôlés, à la concurrence internationale : il s'agissait de n'envisager le développement économique que dans la mesure où elles pouvaient le contrôler et le contrôler à leur profit. On aboutit ainsi à une sorte de modèle latino-américain de développement autocentré.

 

Une autre source de ce modèle de développement autocentré fut l'apparition, à partir de 1930 et dans le sillage de la crise économique mondiale, des régimes "national-populistes" (Cardenas au Mexique, 1929, Vargas au Brésil, 1937, Péron en Argentine, 1946) plus ou moins admirateurs d'une thématique fasciste exaltant l'"autarcie" et le rôle de l'Etat dans le développement économique[14]. C'est l'époque des nationalisations (pétroles mexicains, 1938) qui devait d'ailleurs se poursuivre :  étain bolivien, 1952; pétrole vénézuélien 1972, cuivre chilien 1966 et on note la même chose au Brésil et ailleurs. Les pouvoirs oligarchiques locaux ne pouvaient en effet que considérer que voir les ressources naturelles sur lesquelles étaient fondées la prospérité de "leurs" pays passer sous contrôle étranger menaçait directement et leur mode de vie et leur pouvoir politique. Sans aller jusqu'à caractériser le pouvoir en Amérique latine de "féodal" (on préfère généralement le terme "clientéliste") il faut néanmoins considérer que la constante confusion du pouvoir politique et du pouvoir économique dans les mêmes mains est une tendance lourde dans ce continent, ce qui lui donne une physionomie foncièrement différente de celle de l'Amérique du Nord qui est fondamentalement gouvernée par des classes moyennes..

 

La période suivante renforça cette tendance "autocentrée" : l'Amérique latine n'avait pas été touchée par la seconde guerre mondiale, et en avait même plutôt tiré un profit économique : la guerre avait renchéri le prix d'un certain nombre de produits d'exportation, notamment agricoles, des pays de la région et une industrialisation locale se fit jour du fait du défaut de biens industrialisés habituellement fournis par l'Europe et que l'économie américaine, entièrement tournée vers les productions de guerre , ne remplaçait pas.

 

Stimulés par une croissance économique réelle (5 à 6 % par an après la seconde guerre mondiale) les Etats généralisent l'alphabétisation et les services de santé. Ce modèle de développement arrivera paradoxalement à ses limites alors qu'il est théorisé par la CEPAL (Raul Prebish)[15] car à la fin des années 1960 les marchés internes sur lesquels s'était appuyée la croissance des années précédentes arrivent à saturation et les entreprises locales, abritées de la concurrence, ne sont pas compétitives et ne peuvent poursuivre leur croissance en conquérant des marchés extérieurs qui leur sont d'ailleurs souvent fermés sur la base de la réciprocité commerciale. Le modèle de développement autocentré aurait dû se prolonger par une intégration régionale des pays latino-américains, mais les nombreuses tentatives en ce sens eurent peu de succès effectif : seuls quatre « accords de complémentarité » furent signés dans le cadre de l'ALALC (ces accords auraient dû instaurer une sorte de division du travail entre les pays latino-américains pour qu'ils deviennent complémentaires et non pas concurrents). D'autre part l'extrême concentration de la gestion de l'économie, dominée par des groupes sociaux voire familiaux très réduits, favorisait une économie de la rente et non une économie dynamique. Les conséquences en sont une baisse des niveaux de vie, car la croissance démographique se maintien à un niveau élevé (3% par an dans les années 1960) alors que les économies progressent à un niveau moindre que par le passé.

 

Le modèle de développement autocentré ne peut plus dés lors fonctionner que par des financements artificiels fournis pour partie par la hausse des prix pétroliers à partir de 1973 (qui profite au Mexique et au Venezuela) et pour le reste par un recours massif à l'endettement international. La baisse des prix pétroliers à partir de 1982 et la chute des prix des matières et produits primaires dont l'Amérique latine restait un grand exportateur (moins 25% entre 1980 et 1989) précipite la crise de la dette dans tous les pays de la région. Les dévaluations compétitives entraînent de fortes poussées inflationnistes (record : 12.000% en Bolivie en 1985), la dollarisation des économies, la paupérisation voire la disparition des classes moyennes. Au total, de 1982 à 1989, le PIB régional diminue de près de 9%.

 

La conséquence politique du modèle autocentré de développement avait été de couper relativement l'Amérique latine du reste du monde, alors qu'au contraire elle avait été insérée dans les circuits de l'économie internationale durant tout le XIXème siècle (même si c'était un échange inégal de type colonial) : on sait en effet que les échanges de marchandises ne se font pas sans entraîner également des échanges culturels et notamment portant sur les idéologies politiques. Ceci joint à l'isolement dans lequel le manteau de régimes dictatoriaux , et spécialement militaires, généralement très nationalistes voire xénophobes (le rejet du "gringo") avait plongé l'Amérique latine, explique que celle-ci ait vécu très à l'écart des affaires de la politique internationale durant toute cette période.

 

En 1972, le Mexique lançait le concept de "Nouvel Ordre Économique International" qui semblait devoir insérer l'Amérique latine dans le mouvement plus large du "tiers-mondisme", faisant donc jonction avec un certain nombre de pays africains et asiatiques. Mais ceci fut balayé par la crise économique généralisée  qui fut affrontée en ordre dispersé par les pays latino-américains, la césure principale étant entre ceux qui tiraient un certain profit de la conjoncture (pays pétroliers : Mexique, Venezuela) et les  autres. Une autre césure fut celle entre les pays qui devant cette crise poursuivaient sur le modèle autocentré (par exemple le Brésil qui au début des années 1970 essaie même de remplacer au moins partiellement le pétrole importé par de l'alcool de canne à sucre, produit national) de ceux qui se convertissent au contraire au libre échange le plus radical (Chili de Pinochet à partir de 1973). Mais quelle que soit la voie suivie, ce n'est pas celle de la démocratisation ni de l'ouverture, et les résultats furent plus que décevants jusqu'à l'orée des années 1990.

 

Si c'est donc assez justement qu'on considère la décennie 1980  comme une "décennie perdue" pour l'Amérique latine,  sur le plan économique[16], il en va différemment en matière politique : les différents pays du sous-continent ont en effet connu leur transition démocratique entre 1979 et 1991 (Equateur 1979, Pérou, 1980; Honduras, 1981; Bolivie, 1982; Argentine 1983, Uruguay 1984, Brésil 1985, Paraguay et Panama, 1989; Chili et Nicaragua 1990, etc.). La caractéristique de ces "transitions démocratiques" a été, paradoxalement, une série de pactes finalement peu démocratiques, mais surtout pragmatiques[17], par lesquels les anciens gouvernants acceptaient de céder le pouvoir à des institutions démocratiques moyennant l'amnistie de tous les crimes commis par eux ou sous leur autorité. D'une manière générale, les hiérarchies militaires ont renoncé à exercer le pouvoir politique, même si elles le tiennent souvent sous étroite surveillance, ou si, les Etats latino-américains étant souvent peu efficaces, l'armée demeure la seule structure solide, disciplinée et hiérarchisée, capable d'assumer des tâches qui devraient normalement revenir à un gouvernement civil. Dans la plupart des Etats latino-américains, les armées sont ainsi chargées du maintien de l'ordre (polices militaires) voire de la protection des institutions, ou sont dotées d'un statut qui les met à l'abri des ingérences du pouvoir politique civil. Souvent, elles disposent de ressources propres non budgétisées (au Chili : 10% des recettes d'exportation du cuivre, en Equateur : 15% des recettes d'exportation du pétrole) hors de tout contrôle démocratique. Une autre caractéristique de ces démocratisations hâtives de sociétés qui restent profondément inégalitaires est l'élection de tribuns disposant de relais (notamment médiatiques) qui leur[18] permettent d'emporter les élections sans avoir d'appareil politique derrière eux, et savent parfois en user pour devenir de vrais "Césars démocratiques" pour lesquels il faut éventuellement modifier les Constitutions qui leur interdiraient de se maintenir trop longtemps au pouvoir. L'essentiel des populations sud-américaines n'ayant aucune éducation politique, voire aucune éducation tout court, est particulièrement vulnérable aux propagandes électorales, surtout si elles sont véhiculées par la télévision qui est le seul moyen de communication de masse auquel elles aient accès. La médiocrité, pour dire le moins, du personnel politique latino-américain est à la fois la cause et la conséquence de cet état de fait[19]. Certains analystes considèrent qu'on est ainsi en présence d'un "néo-populisme" dans la ligne de celui des années 1930 avec des dirigeants tels que Menem en Argentine, Collor de Mello au Brésil, Fujimori au Pérou, Fox au Mexique, Chavez au Vénézuela, qui ne forment des partis politiques que pour pouvoir se présenter aux élections et les mettent en sourdine tout de suite après leur victoire au profit d'un style de gouvernement prétendument en lien direct avec la population par le biais des médias (télévision surtout) qui servent en fait plus à anesthésier l'opinion publique qu'à la faire participer. Il n’en demeure pas moins que depuis le début des années 1980 on a pu voir la gauche arriver durablement au pouvoir dans plusieurs pays latino-américains, alors que jusque là elle avait toujours été à terme plus ou moins bref éradiquée par des pronunciamentos militaires au nom de la lutte contre le communisme. Quant à la signification de ces avènements de gouvernements de gauche en matière de démocratie, elle n’est pas forcément claire[20]

 

Les tentatives d'affirmation politique de l'Amérique latine sur la scène internationale ont été rares et aussi peu convaincantes. En 1969 les ministres des Affaires étrangères latino-américains réunis au Chili, adoptaient le "consensus de Vina del Mar" qui accusait clairement les Etats-Unis d'empêcher le développement autonome de l'Amérique latine.

 

Devant la politique américaine et de "benign neglect" économique et d'intervention politique, les pays latino-américains essayèrent de se regrouper en 1983 dans le "groupe de Contadora" (Colombie, Mexique, Panama, Venezuela) pour adopter une attitude commune face à la crise de l'Amérique centrale (Salvador et Nicaragua). En 1985 ils sont rejoints par l'Argentine, le Brésil, le Pérou et l'Uruguay, qui créent le "groupe d'appui à Contadora", les deux ensemble fusionnant en 1986 dans le "groupe de Rio" auquel se joignent en 1990 la Bolivie, le Chili, l'Equateur et le Paraguay : on aboutit ainsi à un regroupement latino-américain large traitant de questions politiques sans les Etats-Unis, ce qui était une innovation. Ce nouveau climat, et la disparition de dictatures souvent antagonistes (surtout entre l'Argentine et le Brésil) devait permettre notamment l'émergence d'un projet d'union douanière du Cône Sud qui prit consistance en 1994 (cf infra : le Mercosur).

 

II - L'Amérique latine en voie d'insertion dans un monde globalisé.

 

                La spécificité latino-américaine, à la fois entretenue par un panaméricanisme prédateur qui poussait le sous-continent à se replier sur lui-même, par la tendance historique des élites locales, et par la guerre froide, est-elle en train de disparaître ? Toujours est-il qu'une évolution très nette se dessine depuis 10 ans, tendant à insérer l'Amérique latine dans un monde globalisé en faisant disparaître ses deux spécificités historiques : les régimes autoritaires et les économies fermées.

 

                a) disparition des régimes autoritaires

 

Le premier aspect de cette homogénéisation a été la généralisation de la démocratie en Amérique latine à partir de 1980 et surtout de 1990, la pression du communisme disparaissant, alors que le continent semblait jusque là voué aux pronunciamentos militaires[21]. Les quelques tentatives de restaurations autoritaires : Pérou 1992 et 2000, Guatemala en 1993, Haïti en 1994 et Paraguay en 1996 ont été bloquées, et même le Mexique a fini par connaître l'alternance politique en 2000, ce qui n'empêche pas que le populisme et une certaine dose d'autoritarisme persistent (Fujimori au Pérou, Chavez au Venezuela). L'homogénéisation économique par alignement sur les standards libéraux est très avancée : dans le sillage des "Chicago boys" qui l'ont implanté avec un réel succès macro-économique (mais un coût social considérable) dans le Chili de la dictature finissante de Pinochet, les gouvernements mexicain (Salinas de Gortari, 1989) et Brésilien (Cardoso, 1994) ont à leur tour suivi des politiques fondées sur l'ouverture du commerce extérieur, la dollarisation[22] de l'économie (plan « real » au Brésil, dollarisation nominale en Argentine en 1991 et en Equateur en 2000). Si l'Amérique latine a été une des principales victimes de la guerre froide, qui lui a valu une suite de régimes dictatoriaux dont la sévérité n'avait d'égale que la jalousie avec laquelle les Etats-Unis veillaient sur leur "arrière-cour", la fin de la guerre froide devait logiquement entraîner une période plus favorable. On peut cependant se demander si du point de vue d’une administration étatsunienne devenue très conservatrice (G. W. Bush) l’Amérique latine n’est pas redevenue une zone inspirant la méfiance[23]. De toutes façons, historiquement les changements internes à Washington ont toujours eu des conséquences sur l’évolution de l’Amérique latine[24].

 

                b) disparition des économies fermées

 

Le "consensus de Washington" est désormais la norme des politiques économiques latino-américaines[25] encore qu’il soit désormais concurrencé par le « consensus de Brasilia » qui l’amende dans le sens plus « sociale » de la recherche d’une « troisième voie » entre le libéralisme du consensus de Washington et le modèle périmé du développement autocentré. Ce « consensus de Brasilia »[26] (il s’agit d’un thème largement lancé par le nouveau président brésilien Luis Inacio Lula da Silva) vise à conserver à l’Etat un rôle de régulateur social et de donneur d’impulsions économiques, et s’il conserve le principe de l’ouverture à l’économie mondialisée, c’est sous cette réserve et celle d’alliances régionales type Mercorsur et d’accords de libre échange limité (éventuellement avec l’UE ou avec d’autres blocs). Ce n'est pas sans dommages pour les économies de la région : les droits de douane qui s'élevaient à 44,5% en moyenne régionale en 1980 sont tombés à 13% en 1995 et les restrictions non tarifaires qui touchaient 34% des produits n'en touchent plus que 11%, mais la désindustrialisation est massive : les entreprises qui vivaient naguère dans un environnement protégé ne peuvent que disparaître (25% du PIB régional était industriel en 1980, mais seulement 22% en 1995 avec des chutes spectaculaires dans certains pays : de 33% à 24 % au Brésil, de 30% à 20% en Argentine, de 27% à 16% au Chili...), et  les importations croissent plus vite que les exportations. Seul le Mexique tire son épingle du jeu grâce aux "maquiladoras", entreprises sous douane correspondant pratiquement à des zones franches (et qui font du Mexique un atelier de sous-traitance de l'industrie américaine). Ces déficits commerciaux joints à d'importants afflux de capitaux étrangers entraînent une surévaluation de la monnaie, parfois artificiellement ancrée au dollar, provoquant à terme une inévitable crise financière Argentine 2002). Ces politiques néo-libérales sont-elles efficaces ? elles ne produisent pas des taux de croissance supérieurs à ce qui était constaté avant 1980 (autour de 3%), mais surtout avec une répartition extrêmement inégalitaire. Si le néo-libéralisme n'est pas à l'origine des crises économiques latino-américaines des années 1980, il n'en est pas non plus, à ce jour, la solution. En outre il s’agit de la libre-circulation des capitaux et non pas de celle des personnes, à la différence de ce qui se passe au sein de l’UE.

 

                c) conséquences politiques de ce qui précède

 

Les Etats-Unis sont de plus en plus vus comme un partenaire désirable autant qu'inévitable puisqu'il n'y a plus d'alternative (tant le "socialisme" que les théories sur le "développement autocentré" et le "nouvel ordre économique mondial" ont fait long feu). D'autre part, aux Etats-Unis mêmes le monde latino-américain est vu avec d'autres yeux car il constitue désormais une part des Etats-Unis eux-mêmes : un quart de la population californienne est d'origine hispanique. Il y a aux Etats-Unis au moins 35 millions d'Hispaniques[27] "légaux" et peut-être 7 à 10 millions d'illégaux soit 10% de la population. En Floride, 50% de la population est d'origine cubaine (or la Californie et la Floride sont deux Etats-clés pour l'élection présidentielle comme on l’a vu en 2000). Le Texas exporte plus d'un tiers de sa production vers le Mexique ou le reste de l'Amérique latine : dans ces conditions, l'ALENA (Accord pour le Libre-Echange Nord-Américain, 1994) devenait une nécessité autant pour les Etats-Unis que pour le Mexique, même si ce dernier pays n'en retire pas que des bénéfices, et le souhait de Washington d'étendre cette zone de libre-échange à l'ensemble du continent américain[28] correspond à une vraie logique économique.  Dans cette logique du "tout économique" on compte sans doute à Washington, sur une homogénéisation à terme par le commerce, des formes politiques et culturelles (et donc de la politique extérieure), sur les normes nord-américaines, tant le poids respectif des partenaires ne permet guère d'autre alternative que la satellisation de l'ensemble du continent autour des Etats-Unis[29] : on décrit souvent l'ALENA et la ZLEA comme une roue dont les Etats-Unis sont le moyeu et les partenaires les rayons ("hub and spokes"). Cette formule semble, malgré la différence considérable de taille entre les partenaires[30] plus réaliste que les tentatives de regroupement antérieurs[31] qui regroupaient des partenaires beaucoup plus concurrents que complémentaires.

 

                Il convient cependant de signaler le maintien d'une spécificité latino-américaine qui n'est pas sans conséquence, à savoir l'absence de classes moyennes. Celles-ci ont toujours été très faibles et elles ont été laminées durant les années 1980 par de très fort taux d'inflation, qui ont fonctionné comme des impôts pratiquement confiscatoires sur tous ceux qui vivaient du revenu de leur travail, même s'il s'agissait de cadres, de fonctionnaires, alors qu'au contraire ceux qui étaient détenteurs de biens réels et vivaient de leurs rentes voyaient leur situation se maintenir voire progresser (d'autant plus que généralement ils avaient les moyens de placer leurs capitaux à l'étranger, dans des économies plus stables, formule particulièrement prisée en Argentine). Or la démocratie est essentiellement un régime de classes moyennes, qui ne peut véritablement s'implanter que sur ce terreau. C'est là la principale hypothèque qui pèse actuellement sur l'évolution de l'Amérique latine.

 

Dans ce monde globalisé dont l'Amérique latine semble désormais accepter les règles, le risque de satellisation autour des Etats-Unis n'est pas ignoré, notamment en Amérique du Sud, qui n'a pas les raisons, valables au Mexique, de s'arrimer au grand voisin du Nord. Un an après l'ALENA entrait en vigueur le MERCOSUR (ou Mercosul dans la version portugaise) unissant d'abord le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay, auxquels se sont associés (sans adhésion pleine) le Chili en 1996 et la Bolivie en 1997. Cette nouvelle structure, construite sur la base du libéralisme et du pragmatisme[32], devait éclipser rapidement toutes les tentatives antérieures, qui étaient d'ailleurs à l'époque en pleine restructuration. La principale menace sur ce marché commun prometteur (accord d'association avec l'Union Européenne en 1995, qui est son premier client et son premier fournisseur, avant les Etats-Unis) est de nature monétaire : les crises financières au Brésil en 1999 et en Argentine (2001-2002) constituent une hypothèque importante. L'absence de politique industrielle et technologique commune, qui est rendue nécessaire par l'ouverture douanière, est une autre faiblesse. Néanmoins la masse critique ainsi formée par des pays dans lesquels ont trouve des industries compétitives en fait un partenaire stratégique intéressant, et donc un enjeu, tant pour l'UE que pour l'ALENA. Le Chili hésite ainsi entre son intégration pleine dans l'ALENA ou dans le MERCOSUR[33], alors même que la masse des deux blocs est très différente : le PIB des pays de l'ALENA représente près de 8 fois celui des pays du MERCOSUR, même si ce dernier est aujourd'hui le troisième bloc commercial du monde, après l'Union européenne et  l'ALENA, et le quatrième marché après les deux précédents et le Japon. Les Etats-Unis ne sont plus un partenaire irremplaçable (sauf pour le Mexique, géographie oblige) : le Chili qui avait d'abord demandé à être intégré à l'ALENA et qu'on avait ajourné a, dans les mois qui ont suivi, signé un accord d'association avec le Mercosur. On voit bien à ce propos l'importance du lien européen d'une partie de l'Amérique latine[34] qui ne se résout pas à n'être qu'une annexe des Etats-Unis qui ne la considèrent d'ailleurs pas comme assez stratégique pour en faire une "chasse gardée".  L'Amérique latine continue ainsi à hésiter entre le latino-américanisme de ses origines[35] et le panaméricanisme, qui a toujours des relents d'impérialisme nord-américain. Outre les crises économiques de ses deux principaux partenaires, le MERCOSUR se heurte aujourd'hui à deux limites : le Brésil refuse toute supranationalité et l'Argentine est périodiquement tentée par un alignement complet sur les Etats-Unis[36], voire une certaine crainte que le Mercosur serve surtout de tremplin au Brésil pour devenir une puissance régionale au détriment de l'Argentine.  Le Brésil est en tous cas le pays de la région le plus attaché  à l’approfondissement de ce projet qu’il décrit comme porteur de « son destin » (président Luis Ignacio Lula da Silva) et non comme une simple « option ». D’après Brasilia le Mercosur devrait s’insérer ultérieurement dans une « communauté sud-américaine des nations » dont la première étape de réalisation devrait être la négociation d’accords commerciaux entre le Mercosur et les autres pays de la région, visant à terme leur intégration dans cet ensemble.  C’est ainsi qu’en août 2003 le Pérou en est devenu « membre associé » au même titre que le Chili et la Bolivie. Le mouvement de mondialisation, qui s’est accéléré depuis que les bases du MERCOSUR ont été mises en place en 1994 est un nouveau contexte qui ne peut qu’avoir des conséquences sur les projets d’intégration économique latino-américains[37].

 

Enfin un élément extérieur pourrait être fatal à cette union douanière : un éventuel regain d'intérêt des Etats-Unis pour la région, manifesté par le projet de ZLEA (encore faut-il noter que les Etats-Unis n'envisagent pas à ce stade d'inclure les produits agricoles, essentiels pour l'Argentine voire pour le Brésil, dans les accords à négocier, ce qui donne une crédibilité supplémentaire "par défaut" au Mercosur). Bien que toutes les conséquences des attentats du 11 septembre n'aient pas été tirées, les questions de sécurité sont passées nettement devant les questions de politique commerciale dans la politique extérieure américaine, et donc des pays comme la Colombie[38] ou le Vénézuela passent devant le "Cône sud" dans la liste des priorités de Washington. Paradoxalement, la crise argentine de 2002 rend le Mercosur plus attractif pour elle, car une certaine complémentarité apparait entre elle et le Brésil depuis que les recettes libérales qu'elle a appliquées lui ont fait démanteler certaines de ses industries alors qu'elles ont subsisté au Brésil, et elle peut trouver plus d'avantages à se fournir chez son voisin qu'aux Etats-Unis.

 

D’autre part il ne faut pas se dissimuler qu’il y a une grande différence entre les ambitions affichées et les réalisations. Les Etats-membres du Mercosur sont autant concurrents que partenaires et la complémentarité, et ils sont de taille très diverse[39], qui est la vraie condition du succès d’une union douanière, fait ici défaut. Si le Brésil représente beaucoup pour ses voisins (22% des exportations argentines et paraguayennes, 33% des exportations uruguayennes) ceux-ci représentent beaucoup moins pour lui (moins de 8% des exportations brésiliennes). Les partenaires commerciaux principaux du Brésil sont ailleurs qu’en Amérique du Sud. Il est vrai que le Mercosur est encore très inachevé : s’il est devenu « union dounière » en 1995, il n’a encore de tarif extérieur commun que pour 2/3 des produits de la nomenclature (en 2003). Le degé d’intégration réglementaire des partenaires est faible (et la supériorité du droit international sur le droit interne n’est pas reconnue, notamment au Brésil)

 

Il ne faut pas se dissimuler le coût économique et social de cette modernisation et libéralisation économique du sous-continent. L'Argentine est en faillite (incapacité de conclure un accord avec le FMI, et donc impossibilité d'en obtenir des facilités financières, régression de l'économie vers le troc). Selon les estimations de la CEZPALC (2003) 43% des latino-américains vivent actuellement en-dessous du seuil de pauvreté; les pays les plus pauvres de la zone comme Haïti sont au bord de la catastrophe humanitaire. Les progrès réalisés au début des années 1990 ont été anéantis et le revenus par tête est à présent retombé à son niveau de 1998. Les investissements étrangers directs en Amérique Latine, qui était de 72 milliards USD en 1999 ont chuté à 60 milliards en 2001 et à 40 milliards en 2002. Cette régression économique ne sera sans doute pas sans conséquence sur les "acquis démocratiques"

 

ALENA et MERCOSUR sont finalement les héritiers des deux lignes de pensée en Amérique latine, illustrées par deux pays : le panaméricanisme, qui est le choix du Mexique, et le latino-américanisme qui est le choix du Brésil [40](et d'autant plus que ce pays a vocation "naturelle" a être le chef de file de l'Amérique du Sud). La fin de la guerre froide, la constitution de blocs économiques en Asie, et les succès remportés par l'Union européenne en Amérique du Sud semblent en effet convaincre les Etats-Unis de l'importance de ne pas laisser aller à la dérive cette partie du monde qui fut à partir des années 1930 (lorsque l'influence britannique y déclinait) leur chasse gardée. Des auteurs comme H. Kissinger et Z. Brzezinski rappellent périodiquement cet impératif. Il y a en effet un véritable potentiel d’alliance entre l’Amérique latine et l’Europe. En effet 36% des exportations et 32 % des importations du Mercosur proviennent de l’UE, ce qui en fait un partenaire plus important que les Etats-Unis (27% des importations) et le Japon (7%). Etats-Unis et UE sont en concurrence pour concrétiser ce partenariat : un accord UE-MERCOSUR pourrait intervenir après la réforme de la Politique Agricole Commune en 2006 (la PAC est la principale pierre d’achoppement entre les deux blocs) à moins qu’en 2005 les Etats-Unis aient réussi à arrimer le MERCOSUR à la ZLEA, ce qu’ils essaient de faire, mais les négociations sont également difficiles.[41]

 

C'est donc sur fond de modernisation économique et politique que se dessine ou se dessinera un nouveau latinoaméricainisme. Comme le note J-F Fogel "Cette modernisation des esprits traduit la renaissance du vieux rêve bolivarien de l'unité continentale, servi cette fois à la sauce libre-échangiste"[42]. Assez paradoxalement, on peut dire avec 25 ans de recul que c'est le drame chilien qui  a servi d'électrochoc provoquant un retournement de la pensée économique en Amérique latine : jamais le développement d'une politique autocentrée n'avait été poussé aussi loin que par Salvador Allende, et jamais elle n'avait produit de résultat aussi désastreux. Le Chili de Pinochet, "repoussoir" politique" a fonctionné comme un aimant économique : tous les pays latino-américains ont en fait suivi son exemple[43]. L'aspect négatif de cette évolution est que la question sociale n'a pas évolué, ce qui hypothèque à terme l'enracinement de la démocratie. Un latino-américain sur trois continue à vivre en-dessous du seuil de pauvreté. Et ceci aussi est une hypothèque à long terme sur le développement économique latino-américain : la croissance économique ne sera pas assurée de manière stable, tant qu'une répartition aussi inégale des richesses subsistera, tant qu'une large classe moyenne ne verra pas le jour, ce qui est également une condition essentielle de l'installation définitive de la démocratie.

 

A cet égard, et si l'Amérique latine est un sous-continent en voie d'affirmation qui reste cependant encore largement absent des questions de politique internationale (non-acteur de la guerre froide, elle reste également très à l'écart des débats actuels sur les nouvelles menaces globales représentées par le terrorisme etc.), elle est au coeur d'une question internationale qui préoccupe particulièrement le monde développé, à savoir le trafic de drogue, qui est considéré aux Etats-Unis comme une question de sécurité nationale, et où on persiste à penser que la solution résiste dans une réduction de l'offre plus que dans une compression de la demande. Or le libre-échange joue relativement contre la répression du trafic de drogue : la libéralisation des échange ruine en effet certains secteurs économiques des pays latino-américains, où la production de drogues est un substitut viable, et d'autre part l'accroissement des flux de marchandises rend plus facile et le trafic de la drogue et le blanchiment de l'argent sale[44]. Le trafic de drogue s'implante historiquement au cours des années 1970, alors que la demande augmente aux Etats-Unis (retour des combattants américains du Vietnam) et que les pays latino-américains connaissent l'essoufflement de leur modèle économique. Il y a une certaine division du travail : production de la feuille de coca en Bolivie et au Pérou, transformation de la pâte-base en Colombie, exportation de la drogue vers les Etats-Unis par l'arc antillais au début, ou par le Mexique. Depuis 1990, la cocaïne tend à être remplacée par l'héroïne, qui génère une plus grande valeur ajoutée encore.

 

Dans la mesure où l'Amérique latine n'est plus considérée par les Etats-Unis que d'un point de vue économique, la question du trafic de drogue devrait tendre à quitter l'agenda politique (ou à n'y être plus présent qu'en façade) pour intégrer une problématique socio-commerciale. Pour l'heure, cette question demeure cependant un véritable régulateur des relations entre les Etats-Unis et l'Amérique latine, par le biais d'un système unilatéral de "certification" par lequel l'aide économique américaine aux pays d'Amérique latine dépend de la "certification" par le pouvoir exécutif que les gouvernements voisins "coopèrent pleinement" à la lutte contre le trafic de drogue. A cet égard les Etats les moins coopératifs se trouvent dans la Caraïbe, qui est une route importante d'exportation de la drogue vers les Etats-Unis : les micro-Etats de cette région ne peuvent en effet vivre que d'expédients (paradis fiscaux, registres maritimes douteux et trafics divers) l'industrialisation y étant impossible et le tourisme insuffisant. Les gouvernements latino-américains en général ne peuvent avoir vis-à-vis de l'économie de la drogue qu'une attitude ambiguë : on estime habituellement que dans l'ensemble des pays andins l'agro-industrie des stupéfiants fait travailler entre 7 et 14 % de la population active et génère de 8 à 12% du PNB, générant jusqu'à 30% des recettes d'exportation. La culture de la coca ou du pavot rapporte plus aux paysans pauvres que n'importe quelle autre activité économique de substitution qu'on pourrait leur proposer, ce qui voue à l'échec les actions menées sur ce thème. Les Etats ne peuvent pas négliger un tel acteur économique, qui a au demeurant tous les moyens de corrompre les appareils de justice et police ou douanes chargés de lutter contre lui.

 

Conclusion

 

La fin de la guerre froide a jeté l'Amérique latine dans un univers globalisé qu'à l'évidence elle était particulièrement mal préparée à affronter et dans lequel elle n'a pas trouvé sa place. Les tentatives d'émancipation internationale qui se faisaient jour au début des années 1980 (promotion par le Mexique d'un "Nouvel Ordre Économique Mondial", rapprochement avec le mouvement des non-alignés, rapprochement des pays pétroliers latino-américains des pétromonarchies arabes, y compris sur des bases antisionistes) ont disparu. L'influence des Etats-Unis sur l'ensemble de la région, y compris en positions commerciales, s'est renforcée. L'Amérique latine semble revenue à sa position de 1930 : un appoint, un complément au monde occidental, mais non pas un partenaire global majeur. Quant à la politique américaine, elle semble en être revenue peu ou prou à la "diplomatie du dollar" du président Taft (1909-1913), c'est-à-dire à considérer l'Amérique latine comme un non-acteur politique, et un partenaire économique à ne pas négliger, mais mineur, et éventuellement soumis à des pressions politiques pour favoriser les intérêts économiques des Etats-Unis. Pour autant, l'Amérique latine n'est pas un acteur économique de premier plan : elle ne peut, à cause de l'étroitesse de ses marchés intérieurs et du défaut de modernité de ses infrastructures intelllectuelles et sociales, concourir avec l'Asie pour ce qui est d'attirer les investissements étrangers directs dont elle a le plus grand besoin pour poursuivre sa croissance, et l'Europe lui préfère depuis bientôt dix ans l'Europe de l'est pour ses propres investissements. L'Amérique latine est donc sortie de l'ornière, économiquement et politiquement, mais c'est un continent dont l'avenir reste incertain

 

 


 

[1] Il faut d'ailleurs noter que cette expression n'a jamais été acceptée en Espagne ou au Portugal, ou l'on parle d'"Hispanoamérica" ou "d'Iberoamérica". Le jour de la découverte de l'Amérique par Colomb est encore aujourd'hui une fête nationale en Espagne, encore appelée sous Franco le "dia de la raça" et depuis le "dia de la Hispanidad", et cela inclut l'ancien empire espagnol d'Amérique.

[2] il y a à cet égard de grandes disparités : dans des pays comme l'Argentine, les Indiens ont été pratiquement éliminés; en revanche au Pérou, Bolivie, Equateur, ils restent majoritaires. Au Mexique, ils forment moins de 15% de la population, mais ils sont concentrés dans certains Etats où il peuvent d'ailleurs être à l'origine de guérillas plus ou moins indigénistes (le Chiapas, par exemple). Il ne faut donc pas procéder par affirmation générale, même si -généralement- la grande différence entre l'Amérique du Nord et celle qui est au sud du Rio Grande est la persistance significative de populations voire d'éléments des cultures indigènes.

[3] Lire « Amérique Latine : stabilité étatique, fractures et violences intestines » par J-J Kourliandsky in Revue Internationale et Stratégique n°37

[4] Or plusieurs pays d'Amérique latine continuent à reposer, pour un part importante de leur PNB, sur l'exportation de produits agricoles : Colombie, Equateur et plusieurs petits Etats centraméricains appelés pour cela "républiques bananières" jusqu'à une date récente. Au Brésil, 1% des propriétaires possède encore 50% des terres agricoles exploitées dans le cadre d’un régime latifondiaire.

[5] Ces déclarations de guerre furent d'ailleurs souvent  tardives sauf dans le cas de l'Amérique centrale et Caraïbe (décembre 1941) du Mexique (1942) et la Colombie et Bolivie (1943); elles intervinrent en Amérique du Sud, généralement à la fin du conflit, en 1945 (parfois sous forte pression américaine comme dans le cas de l'Argentine, le 27 mars 1945) avaient surtout pour objet de faire de ces Etats des membres des Nations Unies et donc d'assurer l'hégémonie américaine à son Assemblée Générale. Cela légitimait aussi a posteriori les contrats léonins par lesquels les Etats-Unis achetaient à des prix très bas -et en dollars inconvertibles- les matières stratégiques dont ils avaient besoins pour leur effort de guerre (pétrole, caoutchouc etc) aux Etats d'Amérique latine.

[6] en 1979, à la conférence de La Havane, onze Etats latino-américains ont rejoint le mouvement des non-alignés

[7] Défini comme suit par le président Théodore Roosevelt dans un discours du 6 décembre 1904 : "L'incapacité permanente et le comportement constamment erratique d'un gouvernement, dont la conséquence serait la dissolution généralisée des liens que forme toute société civilisée, requiert, en Amérique comme partout, l'intervention d'une nation qui possède ce caractère civilisé; le fait que dans le cadre de l'hémisphère occidental les Etats-Unis se sentent responsables, en vertu de l'adhésion à la doctrine de Monroe, peut les obliger, même contre leur gré, dans des cas d'incapacité ou de mauvais comportements flagrants, à exercer le rôle de gendarme". Cette doctrine a été codifiée dans certains traités comme celui avec Panama pour créer une zone pratiquement coloniale au profit des Etats-Unis, qui a duré jusqu'en 1999 ou à Cuba avec l'"amendement Platt" de 1901 qui conférait à Washington un droit d'intervention constant à Cuba pour y protéger "le respect des vues, des biens, des libertés et.....des obligations internationales" au cas où ils s'y trouveraient menacés (cet amendement fut intégré pendant 30 ans dans la constitution du pays). On ne compte pas les interventions américaines dans les divers pays, notamment caraïbes et d'Amérique centrale, pour y rétablir l'ordre (Cuba 1906, Nicaragua 1912-1933; Haïti 1915-1934, République Dominicaine 1916-1924, sans compter les interventions plus "ponctuelles" n'impliquant pas d'occupation militaire prolongée).

[8] Cependant l'Amérique latine reçut durant les premières années du programme (1962-65) une aide économique accrue de 204 millions de dollars à 1,3 milliards.

[9] cf la déclaration d'Henry Kissinger à G. Valdès, ministre des Affaires étrangères chilien, en 1966 : "Vous venez parler de l'Amérique latine, mais cela n'a pas d'importance. Rien d'important ne peut venir du Sud. L'Histoire ne s'est jamais faite dans le Sud. L'axe de l'Histoire part de Moscou, passe par Bonn, arrive à Washington, puis va à Tokyo. Ce qui se passe dans le Sud n'a aucune importance".

[10] on se souviendra du mot de Kissinger selon lequel "L'Amérique latine est une abstraction".

[11] il s'agit surtout d'une séduction sur le plan intellectuel, car en pratique les pays latino-américain pratiquaient déjà une forme de développement autocentré depuis plusieurs décennies.

[12] accords Carter Torrijos de 1977 prévoyant le retour du canal sous la souveraineté panaméenne pour l'an 2000, ce qui fut fait. Les Etats-Unis restent cependant, conjointement avec Panama, garants de la "neutralité" du Canal.

[13] lesquelles trouvaient plus intéressant, voire plus "chic" de se fournir directement en Europe plutôt que de faire produire localement les biens manufacturés dont elles avaient besoin. Un exemple extrême : durant la période dorée du cycle du caoutchouc, les magnats de Manaus (Amazonie) envoyaient, paraît-il, blanchir leur linge à Londres ou à Paris...

[14] l'un des thèmes du national-populisme latino-américain était l'intégration de la classe ouvrière naissante dans l'Etat, par des voies institutionnelles (syndicats officiels ou corporations), dans une rhétorique anticommuniste ("dépasser la lutte des classes) analogues à ce que pouvaient prôner les fascismes européens. En outre il y avait une pénétration fasciste indéniable en Argentine et au Brésil, s'appuyant sur d'importantes communautés italienne et allemande, même si du point de vue de l'Allemagne et de l'Italie, il s'agissait surtout d'obtenir des avantages commerciaux et des marchés privilégiés.

[15] Le modèle de développement autocentré se justifiait notamment par ce qu'on appelait la "théorie de la dépendance", à laquelle reste attaché le nom de Fernando Henrique Cardoso (qui d'ailleurs a appliqué une politique exactement inverse quand il est arrivé à la tête de l'Etat brésilien en 1994) : pour s'industrialiser, le pays devait augmenter ses importations de biens d'équipements industriels ce qui déséquilibrait sa balance commerciale, et sa balance des paiements, l'obligeant à recourir à des financements étrangers qui à leur tour induisaient une dépendance politique autant qu'économique (vis-à-vis des Britanniques jusqu'en 1930, et des Américains après. La seule manière d'éviter cette dépendance, d'après la CEPAL, était de bâtir un développement économique fondé sur le seul marché intérieur, strictement protégé d'une concurrence internationale ressentie comme prédatrice. Ainsi tant les régimes autoritaires "nationaux-populistes" que l'intelligentsia de gauche (M. Cardoso, précité) se retrouvaient-ils dans une même hostilité au libéralisme économique international prêché en particulier par les Etats-Unis.

[16] LE PNB moyen par tête en 1989 était le même qu'en 1977.

[17] et on peut d'autant moins le critiquer que ce fut également le schéma suivi, au moins tacitement en Europe, où les responsables du régime franquiste en Espagne, ou des différentes "démocraties populaires" d'Europe de l'Est et de l'URSS (Honecker, Jaruzelski etc.) ne furent pas inquiétés après la chute des régimes qu'ils avaient incarnés.

[18] Sur ce point cf les études publiées dans "Amérique Latine 2002" sous la direction de Georges Couffignal, La Documentation Française 2001 - 250 p. Notamment « Retour du populisme en Amérique latine ? ».

[19]  la corruption semble être le dénominateur commun de la plupart des dirigeants latino-américains, y compris dans les pays les plus importants : l'ex-président mexicain Salinas de Gortari, le vénézuélien Carlos Andres Perez, le Colombien Ernesto Samper (élu en outre avec l'argent de la drogue), l'Equatorien Bucaram, le Brésilien Collor de Mello, l'Argentin Menem ne sont que les plus criantes illustrations de présidents qui ont dû quitter le pouvoir du fait ou dans une ambiance de scandales de corruption. L’autoritarisme en est un autre.

[20] Sur ce point lire « La « gauche » au pouvoir en Amérique latine : Révolution sociale ou banalisation populiste ? » par G Ducatenzeiler in Revue Internationale et Stratégique n°50 , été 2003

[21] 13 transitions démocratiques (ou du moins "moins autoritaires") de 1979 à 1990 : Equateur 1979, Pérou 1980, Salvador  et Nicaragua (1979-80, mais guerre civile pendant 10 ans) Honduras 1981, Bolivie 1982, Argentine 1983, Brésil, Guatemala et Uruguay 1985, Paraguay et Panama 1989, Chili 1990)

[22] la dollarisation peut être nominale, comme en Argentine en 1991 où la monnaie nationale était directement gagée sur le dollar au taux de 1 peso=1dollar, et convertible, ou réelle comme au Panama ou en Equateur qui ont renoncé au droit d'avoir une monnaie nationale : le dollar américain y a cours légal. Le dollar a également cours légal au Guatemala.

[23] Lire « L’axe du mal latino-américain » par B. Texier in Agir n°13 octobre 2003

[24] Pour un point de vue historique sur cette question ire «Les USA et l’Amérique latine : les oscillations de Washington et leurs déterminants internes » par D. Sabbagh IEP-IRIS n°31 automne 1998 ainsi que « La politique commerciale des Etats-Unis et le régionalisme dans les Amériques » par Deblock et Cadet in « Revue Etudes Internationales » n°4 décembre 2001.

[25] le "consensus de Washington" est le résumé de la théorie économique néolibérale, généralement d'inspiration monétariste. Selon cette doctrine, toute saine politique économique doit rechercher la stabilité macroéconomique par l'ouverture (libéralisation des échanges internes et externes) la réduction du rôle de l'Etat (suppression des déficits publics, notamment par compression des budgets sociaux, budget équilibré, privatisations) et ces mesures d'ajustement structurel doivent être à la fois radicales et simultanées. Cette "thérapie de choc" est la prescription habituelle du FMI : si elle a généralement des effets économiques bénéfiques à long terme, elle entraîne généralement à court terme de forts déséquilibres sociaux.

[26] Sur ce concept, lire : « Amérique Latine : le consensus de Brasilia » par M. Faure in Politique Internationale n°99, printemps 2003

[27] 35,3 millions, d'après le recensement de l'an 2000

[28] A l'issue du sommet de Québec (avril 2001) les 34 pays du continent (tous, sauf Cuba) ont fixé à 2005, en principe, la création d'une Zone de Libre Échange Américaine (ZLEA) qui regrouperait plus de 800 millions de personnes, dont plus de 500 en Amérique latine.

[29] l'Amérique latine ne représente que 10% des exportations américaines et environ 5% de ses importations. Les Etats-Unis représentent à eux seuls près des trois quarts du PNB du continent. L'Amérique latine est donc loin d'être un partenaire commercial de première importance pour les Etats-Unis.

[30] par exemple Brésil = 8,5 millions de km2 et 170 millions d'habitants, St Christophe et Nièves = 262 km2 et 55 000 habitants.

[31] pour mémoire : le Marché Commun Centre Américain (MCCA) créé en 1960 (Nicaragua, Guatemala, Salvador, Costa Rica, Honduras) , l'Association Latino-Américaine de Libre Échange (ALALC : Argentine, Brésil, Chili, Mexique, Paraguay, Pérou, Uruguay) en 1961, le Caricom de la Caraïbe créé en 1973 (Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Barbade, Bélize, Dominique, Grenade, Guyana, Jamaïque, Montserrat, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, le Suriname et Trinité-et-Tobago. Les îles Vierges sous domination britannique en sont membres associés, ainsi que les îles Turks et Caïcos), le Pacte Andin de 1969 devenu depuis le « groupe andin. Ce Pacte andin (1969 :accord de Carthagène), et constitue un groupement sous-régional  de l'ALADI de 1980 ( Association Latino-Américaine d’Intégration, elle-même reformulation de l'ALALC ou Association LatinoAméricaine de Libre-Echange, et elle-même tuée par ALENA et MERCOSUR). Le Pacte Andin était composé au départ de la Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou et Chili, le Venezuela y entre entre 1973 et le Chili s’en retire en 1976. Le Groupe Andin est aujourd’hui une union douanière imparfaite ente Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou et Vénézuela. La Bolivie y jouit de conditions spéciales. Sa population représente 22% et son territoire 23% du total de l’Amérique Latine soit nettement moins que le Mercosur.

[32] Le Mercosur de 1994 a en fait été précédé d'une série d'accord sectoriels à partir du traité d'Asunción en 1991, qui prévoyait  une libéralisation progressive, secteur par secteur, démarche explicitement copiée de celle qui avait aboutit à la création des Communautés économiques européennes.

[33] Une solution moyenne a été trouvée au 25ème sommet du MERCOSUR a Montevideo avec la signature d’un accord entre Mercorur et Communauté andine, pour créer une zone de libre-échange entre eux. En outre le Pérou rejoint la Bolivie et le Chili comme pays « associé » au Mercosur. Il existe donc désormais un espace commercial couvrant 10 des 13 pays d’Amérique du Sud.

[34] La Communauté Européenne est ainsi le premier partenaire économique du Mercosur, avant les Etats-Unis, qui restent cependant le premier partenaire global de l'Amérique latine prise dans son ensemble

[35] tentatives d'une confédération latino-américaine qui aurait conservé l'unité de l'ancien empire espagnol devenu totalement indépendant en 1822 La conférence de Panama convoquée par Bolivar en 1826 ne devait pas aboutir à la confédération projetée et les anciennes colonies espagnoles se divisèrent en une vingtaine d'Etats.Seule l'Amérique portugaise, grâce à la création de l'Empire du Brésil, conserva son unité.

[36] Le président Menem, en particulier, voulait passer de la dollarisation nominale à la dollarisation réelle, dans la logique de l'"alliance stratégique hors OTAN" entre l'Argentine et les Etats-Unis,  mais échoua à l'imposer.

[37] Sur cette question lire « Les nouvelles intégrations latino-américaines et caraïbes à l’heure de la mondialisation » par D. van Euwen in La Revue Internationale et Stratégique, Automne 1998.

[38] Cf « What kind of war for Colombia ? » par J. Sweig in Foreign Affaits sept-oct 2002

[39] en 2003, l’Argentine ne représentait que 59% du PIB Brésilien, l’Uruguay 4% et le Paraguay 2%.

[40] Sur ce point lire : « la politique commerciale brésilienne. Le Mercosur et le libre-échange dans les Amériques » in Revue d’Etudes Internationales n°4 2001 par S. Turcotte.

[41] Lire JP. Derisbourg « L’Amérique Latine entre Etats-Uins et Union Européenne », Politique étrangère, avril-juin 2002 et « une alliance stratégique entre Amérique latine et Europe ? » in Problèmes d’Amérique latine, automne-hiver 2002.

[42] in "La solitude de l'Amérique latine" - Politique internationale n° 77, pp 233-253

[43]  et souvent de manière plus rapide, sinon plus radicale : le Chili a mis quatre ans et demi à baisser ses taxes à l'importation de 52 à 10% (1975-1980), le Pérou n'a mis que 18 mois à partir de 1990 pour les baisser de 110% à 15%.

[44] en particulier depuis la mise en application de l'ALENA, les flux de marchandises traversant les frontières nord et sud des Etats-Unis ont pris une telle importance que les contrôles douaniers ne peuvent plus s'exercer efficacement : la route mexicaine du trafic de drogue est devenue aussi importante voire plus importante que la voie maritime passant par l'arc antillais.

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