Les puissances maritimes et la guerre au XXème siècle

 

Britania, rule the waves…Ce chant anglais composé par Thomas Augustine Arne en 1740 définit bien l'importance de la puissance maritime, celui qui contrôle la mer garantit sa sécurité et jusqu'au milieu du XXème siècle la puissance se mesure à l'aune de la force navale.

Dès lors on peut se demander comment évolue la notion de puissance maritime durant le XXème siècle, et comment s'organise la concurrence entre les puissances maritimes « permanentes » et les puissances maritimes « occasionnelles » dans la guerre et dans la paix tout au long du XXème siècle.

 

Il est possible de scinder le XXème siècle en deux périodes distinctes, un premier XXème siècle des années 1890 à 1942 qui se caractérise par une forte concurrence entre les puissances maritimes permanentes et les puissances maritimes occasionnelles et un second XXème siècle marqué par une révolution navale et une domination incontestable des Etats-Unis.

 

1. Au début du XXème siècle une puissance maritime surclasse toutes les autres : c'est la Grande-Bretagne. A partir de ce modèle de la puissance maritime par excellence on peut tenter de définir les caractéristiques de cette puissance.

 

Durant le premier XXème siècle, une puissance maritime est avant tout une puissance qui peut protéger ses routes maritimes. Les routes maritimes durant la majeure partie du XXème siècle ont une importance incontournable : une majorité écrasante des échanges se font par voie de mer. En effet il est beaucoup plus avantageux transporter des pondéreux par la mer plutôt que par la terre. Par exemple le coût de transport d'une tonne de charbon des mines de La Plata à Londres équivaut à celui des mines du Yorkshire à Londres.

 

Dans le premier XXème siècle la sécurité des routes maritimes est vitale dans un monde où les interdépendances entre les Etats sont toujours plus nombreuses. Ce n'est pas un hasard si la grande puissance maritime du début du siècle est aussi la patrie du libéralisme économique. Si l'on considère que les échanges internationaux sont bons pour l'économie, il faut pouvoir protéger les routes commerciales pour que le sang vital de l'échange circule dans le corps du système économique mondial.

 

Dans le cas de la Grande-Bretagne, sa survie passe par le contrôle des routes maritimes. Car comme le souligne André Siegfried à la veille de la Seconde guerre mondiale, dans Suez, Panama et les routes maritimes mondiales à propos des communications maritimes : "l'arrêt de cette circulation serait, pour l'organisme britannique, l'équivalent d'une embolie dans l'organisme humain. Voilà pourquoi, dans telles circonstances, l'Angleterre ferait la guerre pour un détroit ! Ce n'est pas seulement une question de puissance, mais aussi, à proprement parler, d'existence."

 

La Grande-Bretagne ne peut garantir son existence que par la continuité des échanges internationaux, cela est particulièrement frappant sur le plan des ressources agricoles quand on sait que l'agriculture anglaise ne peut nourrir la population des îles britanniques que 150 jours par an et donc que le pays doit importer via les routes maritimes des tonnes de produits agricoles du monde entier, de l'Argentine à l'Australie.

 

Le sea power, la puissance maritime, est donc la garantie de la liberté et de la sécurité de la Grande-Bretagne :          Rule Britannia ! Britannia rule the waves,

                                   Britons never will be slaves.

 

Or, pour conserver le sea power et garantir la liberté des mers, il faut pouvoir agir sur tous les océans car si l'on ne dispose pas de flottes prêtes à intervenir il est impossible de se prémunir contre des attaques d'autres puissances maritimes qui auraient intérêt à couper ces routes maritimes vitales. Il faut pouvoir rapidement menacer tout flotte susceptible de mettre en danger la sécurité des routes maritimes en la contraignant à rester dans ses ports et à devenir une Fleet in Being, une flotte dont l’existence seule, et non l’utilisation au combat, légitime l’entretien.

 

Il faut alors posséder une marine capable d'agir sur tous les océans, une flotte nombreuse et des bâtiments puissants. Ainsi en 1904, la marine britannique est divisée en 4 flottes qui se partagent le contrôle des mers et des océans du monde :

La Home Fleet basée à Douvres

La Mediterranean Fleet à Alexandrie

La Eastern Fleet à Singapour

Et l'escadre du Cap au Cap de Bonne Espérance.

 

Les avantages du sea power, de la puissance maritime, sont très conséquents, ainsi la Grande-Bretagne peut empêcher une invasion qui viendrait de la mer. Par la marine le front est porté aux frontières de l'ennemi et non sur ses côtes, on peut se rappeler l'importance de la victoire de Traflagar en 1805 qui a coulé la flotte française qui aurait pu permettre à Napoléon d'envahir les îles britanniques.       

 

De plus à l'heure des impérialismes, la marine est la condition sine qua non pour la conservation et l'extension d'empires outre-mers. Ainsi si en 1898, Marchand doit se retirer de Fachoda c'est en grande partie parce que la France n'a pas une marine qui pourrait permettre d'acheminer rapidement des troupes en Afrique face à une flotte britannique dominante.

 

Finalement être une puissance maritime c'est aussi s'assurer un avantage économique sur ses adversaires car comme le souligne le grand théoricien Mahan : "la flotte qui domine l'océan commande le commerce maritime, détruit celui de l'ennemi, enrichit et soutient celui de sa patrie". Et comme le montre le chant britannique :              "The nations, not so blest as thee,

Must, in their turns, to tyrants fall:
While thou shalt flourish great and free,
The dread and envy of them all
."

 

En ce qui concerne le premier XXème siècle il est possible de distinguer deux types de puissances maritimes : les puissances maritimes « permanentes » et les puissances maritimes « occasionnelles ».

 

Avant la Seconde guerre mondiale, il existe deux grandes puissances maritimes : la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Ces deux puissances maritimes se caractérisent par leur commune volonté de garantir la liberté des mers, elles sont par nature poussées à la maîtrise de la mer : l'Angleterre est une île et que les Etats-Unis se considèrent comme insulaires. La mer contrôlée est pour ces deux pays à la fois un rempart contre les agressions extérieures, depuis Guillaume le Conquérant en 1066 aucun ennemi n'a traversé la Manche pour envahir l'Angleterre malgré des tentatives répétées. Du coté des Etats-Unis, entre la seconde guerre d'Indépendance de 1812 et le 11 septembre 2001, aucune agression extérieure n'a eu lieu sur le sol américain.

 

Mais la mer permet aussi de garder le contact avec le reste du monde, la Grande-Bretagne est résolument tournée vers la mer pour pouvoir être en contact avec le monde entier. Du coté américain, quand les Etats-Unis sortent de leur isolement, la mer fait le lien avec le Vieux continent, ainsi les troupes américaines en 1917 empruntent la route de l'Atlantique Nord. D'ailleurs, l'amiral Mahan montre que le seule moyen pour les Etats-Unis pour étendre leur influence est de s'assumer en tant que puissance maritime pour dominer les Caraïbes et l'Amérique du Sud.

 

Ces deux puissances maritimes ont donc un rapport similaire à la mer qui protège et permet dans le même temps le contact avec le monde. Dès lors une solidarité de fait se crée entre ces deux puissances maritimes anglo-saxonnes. La devise de ses deux puissances peut alors être l'affirmation de Lord Salisbury : "Nous sommes des poissons."

 

Or le premier XXème siècle marque aussi l'émergence de puissances maritimes concurrentes qui entretiennent un rapport radicalement différend avec la mer. Ce sont l'Allemagne et le Japon qui peuvent dire avec le Kaiser Guillaume II : "Notre avenir est sur l'eau". Le sea power n'est pas ontologiquement lié à leur géographie, ce n'est pour eux qu'un moyen d'affirmer leur puissance comme le montre Churchill à propos de la politique navaliste allemande : "La marine est pour l'Angleterre une nécessité; pour l'Allemagne un objet de luxe. Elle est pour nous synonyme d'existence, pour eux, d'expansion".

 

La marine pour l'Allemagne sert donc à affirmer sa puissance, à se donner les moyens des ambitions de la Weltpolitik, c’est-à-dire d’une politique à l’échelle du monde, il faut que l'Allemagne puisse disposer d'une flotte capable d'étendre son influence par delà les mers et de permettre la création et l'extension d'un empire colonial. Ce n'est pas un hasard si c'est la menace d'une canonnière allemande qui déclenche la crise d'Agadir en 1911 destinée à montrer que l'Allemagne compte dans le jeu impérial.

 

Or comme la puissance dans le premier XXème siècle se mesure à l'aune des forces navales, la nation la plus puissante est celle qui construit les navires les plus imposants et en plus grand nombre. Comme le dit Tirpitz : "l'océan est indispensable à la grandeur de l'Allemagne" dans le sens où les autres puissances vont juger l'Allemagne sur sa capacité à développer une flotte de guerre conséquente. La Weltpolitik étant avant tout une politique qui vise à impressionner tant sur le plan extérieur qu'intérieur, la constitution d'énormes bâtiments de guerre frappe l'imagination et donc sont indispensables pour montrer la grandeur allemande.

 

Dans le cas du Japon, le développement de la puissance navale prend place dès la fin des années 1880 avec la prise de conscience que l'unique façon de pouvoir étendre sa domination hors de l'exigu archipel nippon est de devenir une puissance maritime capable de vaincre l'influence russe et de projeter des forces sur le continent asiatique.

 

La flotte japonaise est alors construite par l'allié anglais et les amiraux japonais suivent l'enseignement de Mahan. Les résultats sont très impressionnants et frappent les Européens car en mai 1905, la flotte japonaise anéantit la flotte russe du Pacifique lors de la bataille de Tsushima contribuant ainsi à la première grande victoire d'un peuple asiatique sur les Européens. Après avoir battu l'adversaire russe, la flotte permet au Japon de consolider sa domination de la péninsule coréenne et prépare les avancées en Mandchourie et en Chine.

 

Les puissances maritimes permanentes et occasionnelles s'affrontent durant tout le premier XXème siècle. Et cette concurrence entre les puissances maritimes se manifeste de plusieurs façons durant cette période.

 

La course aux armements marque cette concurrence en temps de paix armée. Ainsi de 1900 à 1914, entre les lois navales de Guillaume II et la Première guerre mondiale, la concurrence anglo-allemande se manifeste principalement par une course à l'armement naval, Chacun cherche à construire les bâtiments les plus puissants.

 

Le navire emblématique de cette course aux armements est le Dreadnought (qui ne craint rien),  Le premier Dreadnought est mis sur cale le 3 octobre 1904, c'est un bâtiment de 18 000 tonnes doté de turbines ; il peut aller jusqu'à 21 nœuds, ce qui est considérable pour un cuirassé à l'époque. C'est un All Big Guns Ship, il possède uniquement une artillerie de très longue portée (plus de dix kilomètres, 10 cannons de 305) et une artillerie de très courte portée. Toute la stratégie navale anglaise élaborée par l'amiral Fisher va alors se fonder sur l'utilisation de ce cuirassé imposant.

 

D'un autre coté, cette concurrence à un coût très important et en 1912, les Allemands doivent cesser la construction de nouveaux navires face au déficit qu'une telle politique a causé dans le budget du Reich.

 

Le traité sur la limitation des armements navals signé à Washington le 6 février 1922 fige une fois pour toutes la hiérarchie des puissances navales et semble mettre un frein à toute course à l'armement naval. Chaque puissance se voit attribuée un tonnage maximal et un nombre maximal de bâtiments dans chaque catégorie. La solidarité anglo-saxonne est affirmée ainsi que la supériorité des puissances maritimes permanentes car les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont le premier rang avec un tonnage maximal de 525 000 t pour les navires de ligne et 135 000 pour les portes-avions alors que la flotte japonaise est reléguée à 3/5 des flottes anglo-saxonnes et la France partage la 4ème place avec l'Italie, signe mordant de déchéance pour les marins français avec un tonnage maximal de 175 000 t de navires de ligne et 60 000 t de portes-avions. De plus, un moratoire de quinze ans est prévu durant lequel les puissances signataires s'engagent à ne pas entreprendre de construction de bâtiments.

 

Et face à la montée des périls de la fin des années 30, on retrouve une course aux armements entre les grandes puissances navales proche de celle qui avait précédé la Première guerre mondiale. En 1935, le Japon dénonce les contraintes du Traité de Washington, l'Angleterre construit de nombreux bâtiments et à partir de cette date et il existe une féroce concurrence entre la France et l'Italie.

 

Très vite revient la fascination pour les grands cuirassés, ces monstres d'aciers puissamment armés, ainsi quand les Allemands lancent la classe Deutschland très rapide et maniable, les Français répliquent par le cuirassé Dunkerque et les Allemands le surclassent par le Gneisenau en 1935. On retrouve la même logique que lors de la concurrence entre les puissances maritimes d'avant la Première guerre mondiale.

 

La concurrence concerne aussi le commerce et le transport, ainsi il existe une féroce compétition entre les compagnies anglaises et allemandes pour le transport des migrants principalement vers le Nouveau Monde avant 1914, à cette époque 2 millions de passagers par an utilisent le transport maritime, ainsi les compagnies anglaises et allemandes se lancent dans la construction de gigantesques paquebots, navires de transport civil en temps de paix, militaire en temps de guerre mais surtout navires de prestige.

 

Durant le premier XXème siècle, les puissances maritimes permanentes et occasionnelles vont s'affronter de façon systématique lors des deux conflits mondiaux.

 

Pour comprendre les enjeux des affrontements sur mer des deux conflits mondiaux, il est possible d'étudier le commentaire l'amiral Daveluy, qui commence l'étude de la Première guerre mondiale ainsi : "La guerre navale a eu un caractère déconcertant. Elle a été faite avec un matériel très différent de celui qui avait été construit à grand frais. Les cuirassés au lieu de tenir la mer s'enfermèrent dans les rades et la seule grande bataille dans laquelle ils soient intervenus ne pesa d'aucun poids sur les évènements."

 

En effet, les stratèges des différentes puissances maritimes basent leur tactiques navales sur l'idée qu'il faut livrer la bataille ultime, en reprenant les thèses de Mahan, ils considèrent que pour avoir le contrôle de la mer, il faut détruire totalement la flotte adverse, il faut livrer une grande bataille navale en ayant comme dogme l'avertissement du théoricien Mahan : Never Divide the Fleet.

 

Ce sont les principes de la guerre totale de Clausewitz qui sont repris sur mer. Jusqu'en 1942, on peut considérer avec Albert Thibaudet dans sa préface de la Guerre du Péloponnèse de Thucydide que "...la mer triomphe, ou elle n'est vaincue que par la mer.(...) Ainsi, la loi qui veut que la victoire finale appartienne au maître de la mer n'a pas souffert jusqu'ici d'exception".

 

Le vainqueur de cette bataille navale a alors le contrôle de la mer et comme le soulignait déjà Sir Walter Raleigh au XVIème siècle : "Qui tient la mer tient le commerce du monde, tient la richesse du monde, qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même". Le contrôle de la mer semble alors la condition première de la victoire sur le long terme.

 

Dès lors les Anglais en 1914 cherchent un nouveau Trafalgar pour assurer la continuité de leur domination face à des Allemands qui contrôlent la Baltique et empêchent tout ravitaillement de la Russie. Le contrôle de la mer permettrait alors de continuer à approvisionner les troupes qui se battent en France, de s'assurer que le plan allemand de débarquement  en Angleterre ne peut pas réussir, de continuer à soutenir la Russie et surtout de pouvoir instaurer le blocus de l'Allemagne, blocus qui devrait à long terme permettre la victoire des alliés sur les Empires Centraux.

 

Or il y a bien eu une bataille : la bataille du Jütland le 31 mai 1916.Elle met aux prises toute la flotte britannique face à toute la nouvelle flotte allemande dans une bataille gigantesque, les navires sont à plusieurs kilomètres de distance et l'on compte sur les énormes cuirassés pour causer des dommages sérieux aux bâtiments ennemis. On compte beaucoup sur cette bataille navale pour déterminer le sort d'une guerre qui s'enlise sur terre ainsi que le montre la remarque de Churchill à Jellicoe le matin du 31 mai : "Vous êtes le seul à pouvoir perdre la guerre en un après-midi".

 

Mais cette bataille ne fut pas décisive, car malgré une victoire tactique allemande, la flotte du Reich est contrainte de rester dans ses bases et ne sort plus. Elle devient une Fleet in Being dont l'inaction irritera les marins jusqu'à causer de graves mutineries en 1918. Finalement c'est cette même flotte qui se saborde à Scapa Flow à la fin de la guerre pour ne pas être livrée aux Anglais.

 

Sur le plan des affrontements sur mer, la Première guerre mondiale a été décevante car les gigantesques batailles navales décisives imaginées avant le début du conflit n'ont pas eu lieu.

 

La Seconde guerre mondiales présente le même caractère déconcertant jusqu'à l'année 1942 : on ne constate que des affrontements mineurs, il faut attendre Midway pour assister à une véritable bataille décisive et encore cette bataille est plus aéronavale que strictement navale.

 

Il semble que le rapport Daveluy est pertinent pour les deux guerres mondiales car dans ces deux guerres mondiales ce ne sont pas les batailles de cuirassés construits à grands frais qui ont été décisives car ces bâtiments ne se sont affrontés que très sporadiquement.  Mais ce qui va être déterminant au début, c'est l'utilisation de nouvelles techniques et stratégies par les puissances maritimes montantes qui vont mettre en danger la sécurité des puissances maritimes permanentes.

 

Ainsi lors de la Première guerre mondiale, comme la bataille du Jütland n'est nullement décisive, les Allemands décident de mettre sur pied une nouvelle stratégie de février à septembre 1915 puis à partir du 9 janvier 1917 : la guerre sous marine qui vise à instaurer une sorte de contre-blocus, en coulant tout navire de commerce ennemi ou neutre qui se trouvera dans les eaux britanniques. Les U-Boote ont pour objectif de couler 600 000 tonnes de navires ennemis par mois et il semble que dans un premier temps ils réussissent à mettre gravement en danger le commerce maritime des alliés qui doivent alors mettre en commun leurs flottes marchandes pour pouvoir faire face aux pertes causées par les sous-marins.

 

Cette tactique est originale face à des marines alliées qui négligent le sous-marin pour des raisons plus souvent morales que militaires, ainsi à la veille de la guerre l'amiral Wilson décrit les sous-marin comme : "sournois, satanique, déloyal et profondément anti-anglais". Et il préconise de ne surtout pas employer de telles armes dans un conflit armé sous peine de perdre tout honneur.

 

De même lors de la Seconde guerre mondiale, deux innovations majeures vont déstabiliser les puissances maritimes permanentes pendant un temps. C'est d'un coté l'attaque des convois en meutes de sous marins qui est mise en place par l'Amiral Doenitz qui accorde une grande importance aux sous-marins dans la guerre : "la marine ne peut plus contribuer que par le sous-marin à une fin victorieuse de cette guerre".

 

L'autre grande innovation stratégique de la Seconde guerre mondiale est pour la première fois la mise en place d'opérations aéronavales combinées à la fois en Europe et dans le Pacifique. On en voit un exemple dès la conquête de la Norvège par Hitler en 1940 avec l'opération Weserünburg qui met en jeu la marine, la flotte et la Luftwaffe en une campagne-éclair pour s'assurer de l'approvisionnement en fer venu de Suède.

 

L'exemple le plus frappant de cette nouvelle utilisation de la flotte est l'attaque de Pearl Harbour par les Japonais le 7 décembre 1941 par la flotte de l'amiral Nagumo composée de 6 portes-avions, 2 cuirassés, 3 croiseurs et 9 destroyers, cette opération qui détruit une grande partie de la flotte du Pacifique des Etats-Unis.

 

Toutefois dans ces deux guerres, les puissances maritimes permanentes reprennent le dessus en trouvant des parades à ces innovations stratégiques et techniques. Pendant la Première guerre mondiale, la formation de convois déjoue les attaques des U-Boote allemands tandis que dans la Seconde guerre mondiale, les Anglo-américains adaptent les tactiques aéronavales pour vaincre le Japon dans le Pacifique et en Europe opèrent une véritable révolution en s'attaquant à la terre par la voie de la mer : c'est l'opération Torch du 8 novembre 1942 et surtout les débarquements du 6 juin et du 15 août 1944.

 

Le premier XXème siècle semble donc être celui d'une compétition navale sans précédent, une concurrence très marquée entre des puissances maritimes permanentes et des puissances maritimes montantes, l'enjeux étant le contrôle de la mer, contrôle qui permet de garantir la sécurité des routes maritimes, la possibilité d'isoler un ennemi ou de ravitailler un allié.

 

Mais les deux guerres mondiales du premier XXème siècle n'offrent que des affrontements décevants par rapport aux vertus supposées de la bataille navale.

 

 

2. Sur le plan militaire l'année 1942 marque le tournant entre le premier et le second XXème siècle. En effet, en 1942 on assiste à une révolution dans les opérations maritimes avec des batailles aéronavales gigantesques comme lors de la bataille de Midway et surtout l'emploi d'opérations combinées aussi bien sur le front européen que dans le Pacifique.

 

Cette révolution navale semble marquer la fin du vieil adage de Nelson :"est fou le marin qui tente d'attaquer la terre" car des opérations de grande ampleur combinent à la fois la marine, l'armée de terre et l'armée de l'air pour pouvoir attaquer la terre à partir de la mer. En effet, la flotte devient une force de projection : dès l'opération Torch du 8 novembre 1942, on observe cette révolution stratégique, les flottes anglo-saxonnes appuient l'aviation pour permettre un débarquement de grande ampleur en Afrique du Nord.

 

Ces opérations combinées sont primordiales dans la victoire des alliés entre 1942-1945, en Europe par les débarquements de l'été 1944 est dans le Pacifique notamment avec la conquête de l'île d'Okinawa en 1945.

 

Après la Seconde guerre mondiale, l'utilisation de la marine comme force de projection reste d'actualité, pendant la guerre de Corée, ce sont ces opérations qui permettent aux forces mandatées par l'ONU de reconquérir le sud de la Péninsule. Jusqu'en 1991, lors de la guerre du Golfe où des troupes se lancent dans la bataille à partir de la flotte américaine du Golfe Persique. Aujourd'hui, tout action hors de ses frontières passe par l'utilisation de la marine comme force de projection.

 

L'utilisation de la flotte pour bombarder des position à l'intérieur des terres ennemies apparaît aussi dans le second XXème siècle, en effet, la mer peut servir de base aérienne. Le porte avion devenant ainsi un bâtiment d'importance primordiale.

 

L'exemple de la guerre des Malouines est symptomatique car la maîtrise du ciel est acquise dès le début du conflit aux Britanniques grâce à l'action à l'aviation embarquée sur les portes-aéronefs de la marine anglaise. Dès lors, les Argentins peuvent difficilement menacer la flotte où les troupes anglaises qui avancent sur l'île.

 

On peut voir que cet usage de la flotte atteint son apogée aujourd'hui avec le décollage de missiles tirés sur Bagdad à partir de la flotte dans le golfe Persique. Les armes intelligentes permettent ainsi des actions directement de la mer ou de sous la mer vers des lieux très à l'intérieur des terres. La flotte par cette possibilité d'être une base de bombardements acquiert une place primordiale dans les opérations militaires contemporaines.

 

Ce qui va totalement changer le visage de la marine dans le second XXème siècle est l'utilisation de la flotte comme force de dissuasion. Cette évolution débute véritablement avec le lancement du premier Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins (SNLE) en 1960 : le George Washington à partir duquel des missiles nucléaires peuvent être lancés. Si l'on peut embarquer des missiles nucléaires dans des sous-marins qui sont presque totalement autonomes et difficilement repérables alors la dissuasion marche pleinement car il est impossible de détruire les missiles embarquées dans des sous-marins lors d'une première frappe, la marine se retrouve alors au centre de la stratégie de la dissuasion après en avoir été exclue par l'aviation dans un premier temps.

 

Ainsi lorsque le premier SNLE français : le Redoutable est lancé de Gaulle déclare : "La marine se trouve maintenant au premier rang de la puissance guerrière de la France". La dissuasion passe par la marine. Pour être une puissance atomique dotée d'une véritable force de dissuasion, il faut pouvoir déployer une flotte sur tous les océans. Certains pays cherchent alors à devenir des puissances maritimes pour pouvoir déployer un arsenal nucléaire véritablement dissuasif.

 

Toutes ces innovations techniques et stratégiques font du porte-avion le bâtiment du second XXème siècle car il conjugue les trois nouveaux usages de la flotte : c'est le navire central des opération combinés, il est la base maritime des bombardiers et peut embarquer des missiles nucléaires qui seront ensuite chargés sur des avions. Tout l'édifice des grandes marines du second XXème siècle est centré autour du porte avion et de sa protection. Autant le cuirassé est le bâtiment emblématique du premier XXème siècle, autant le porte avion devient à partir de 1942, le Capital Ship.

 

Du fait de ces changements importants des flottes de guerre on assiste à des confrontations mineures le plus souvent avec une dissymétrie des forces, la maîtrise de la mer par les puissances maritimes occidentales ne peut pas être remise en cause par leurs ennemis.

 

Ainsi au Vietnam, les Etats-Unis sont maîtres de la mer du début à la fin du conflit, ce qui leur permet de bombarder continuellement le nord du Vietnam et de sécuriser une ligne de communication longue de sept mille milles nautiques par laquelle passe 95% des approvisionnements de l'armée. La maîtrise de la mer des puissances occidentales est incontestée et l'on assiste quelques fois à une certaine réactualisation de stratégies du premier XXème siècle du fait de cette supériorité. On peut ainsi voir une certaine réactualisation du blocus dans la crise de Cuba de 1962, avec la mise en quarantaine de l'île pour empêcher l'arrivée des fusées soviétiques.

 

Dans le second XXème siècle, la marine change radicalement de rôle du fait d'importantes innovations stratégiques et techniques; dès lors, on remarque aussi que la hiérarchie des puissances est elle aussi bousculée.

 

Le second XXème siècle se caractérise principalement par la domination sans appel sur les mer d'une seule grande puissance maritime : les Etats-Unis. Ils semblent reprendre le flambeau légué par leurs "cousins" britanniques en devenant la grande puissance maritime du second XXème siècle. Une des raisons de cette volonté de faire une puissance maritime est que les Américains se considèrent comme insulaire face à la puissance continentale soviétique comme les Athéniens de l'époque de Périclès face à la puissance militaire spartiate. Les Etats-Unis peuvent appliquer les conseils donnés par Périclès au début de la guerre du Péloponnèse : "Ce que nous devons faire aujourd'hui c'est nous rapprocher le plus possible de la condition d'insulaire car c'est une chose considérable que la maîtrise de la mer".

 

Du point de vue de la redéfinition de la hiérarchie des puissances la transition entre le premier et le second XXème siècle prend place en 1947, en effet les Britanniques n'arrivent plus à contrôler une zone qui leur est entièrement acquise depuis la victoire de Nelson en rade d'Aboukir: la Méditerranée orientale. Les Britanniques demandent alors aux Américains de les remplacer notamment pour l'aide qu'ils apportent aux Grecs et aux Turcs. Les Américains inaugurant la doctrine du containment explicitée par Truman le 12 mars 1947 aident militairement les Grecs et les Turcs et déploient la fameuse VIème flotte en Méditerranée.

 

A partir de 1947, les Américains prennent sur eux le fardeau de première puissance maritime du monde et de ce fait leur flotte est durant tout le second XXème siècle d'une taille et d'une puissance inégalée, elle est la première du monde et de loin.

 

Si l'on s'appuie aujourd'hui sur le tableau comparatif des flottes des plus grandes puissances on remarque bien cette avance décisive de la marine Américaine qui possède 12 grands portes-avions,18 SNLE,53 Sous-marins Nucléaires d'Attaque.12 portes-hélicoptères d'assaut. Et le tonnage total de la marine militaire correspond à la somme du tonnage des 7 puissances qui suivent. Ainsi le vieux rêve de Mahan de faire des Etats-Unis une puissance maritime permanente semble être réalisé.

 

Or cette domination est encore accentuée par un phénomène inédit du fait de la guerre froide : la concentration des plus grandes puissances maritimes dans une coalition centrée sur les Etats-Unis. Avec la création de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord le 4 avril 1949, la notion de puissance maritime semble devenir obsolète car pour tout membre de cette alliance, l'intérêt de posséder une flotte importante n'est plus si importante.

 

En effet, les Américains protègent les routes maritimes, la dissuasion dans sa première phase est uniquement l'affaire des deux grands et l'alliance autour des Etats-Unis rend obsolète de fait toute concurrence navale autre que l'opposition Etats-Unis/URSS. De plus par le développement des moyens de communication et de la surveillance par satellite, la sécurité des convois n'est plus l'enjeu primordial de la puissance.

 

Alors, pourquoi être une puissance maritime durant le second XXème siècle alors que la domination des USA est sans appel ?  Le développement de nouvelles puissances maritimes est alors motivé par différentes considérations stratégiques.

 

Si la flotte est un élément indispensable de la dissuasion nucléaire alors certaines puissances nucléaires vont chercher à devenir des puissances navales pour pouvoir posséder une force de dissuasion efficace. Ce sont dans deux optiques proches mais différentes les attitudes de la France et de l'URSS.

 

Du coté soviétique, le développement de la marine répond à deux objectifs fondamentaux. Le premier est celui de la doctrine de la destruction mutuelle assurée, en effet pour que les Soviétiques puissent menacer d'attaques sur le sol américain, il faut impérativement que les missiles nucléaires soient lancés depuis la mer. Les Soviétiques comprennent alors l'importance du sous-marin nucléaire qui peut parcourir de très longues distances de façon autonome et qui sont difficilement détectables et peuvent donc servir de forces de représailles. Dès le lancement du premier Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins en 1964, les Soviétiques concentrent leurs efforts dans la construction de SNLE et dans les années 1970 l'URSS parvient à combler son retard et à rivaliser avec les USA sur le plan des sous-marins.

 

Mais cette volonté de devenir une puissance maritime est une réponse à un autre objectif, celui de pouvoir projeter des forces soviétiques hors de l'espace eurasiatique et ainsi s'opposer aux Etats-Unis sur tous les continents. Les Soviétiques sont donc dans la continuité du Tsar Pierre le Grand qui déclarait : "Ne vous trompez pas sur les objectifs de la Russie, elle n'a que trop de terre, c'est la mer qu'il lui faut". L'extension de la puissance russe sur le plan mondial doit se faire par l'accès aux mers chaudes et le développement d'une flotte capable de projeter des forces soviétiques en n'importe quel point du globe.

 

Toutefois les restrictions budgétaires de Gorbatchev face à la nouvelle course aux armements américaine seront fatales à la flotte russe et la tragédie du Koursk marque bien  l'échec de la Russie à devenir une véritable puissance navale.

 

Pour la France, la dissuasion nucléaire « du faible face au fort » ne peut se faire que si les représailles sont jugées crédibles, dès lors il faut que les missiles nucléaires atteignent  le territoire ennemi même si la majeure partie du petit territoire national est déjà totalement atomisée. Dès lors, l'utilisation de portes-avions qui peuvent embarquer des bombardiers nucléaires et de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins est l'élément principal de la dissuasion.

 

Pour que "La défense de la France soit assurée par la France" comme le souhaite de Gaulle, il faut que la France développe sa marine dans la stratégie de dissuasion. Alors la France continue dans sa longue tradition en utilisant la marine comme un outil pour s'assurer de la puissance continentale, et ne se considère pas comme une puissance maritime, sous Richelieu comme sous de Gaulle, la France est avant tout une puissance continentale mais la marine se développe à coté si elle peut permettre d'apporter un avantage à cette force continentale. Dès lors il n'est pas étonnant qu'entre 1960 et 1970 alors que la marine classique est négligée se développe une marine de pointe en tant que force de dissuasion, en tant qu'instrument de l'indépendance de la France : c'est le développement de la Force Océanique Stratégique (FOST).

 

On peut penser que cette tendance stratégique de long terme qui se vérifie encore aujourd'hui est la conséquence du rapport qu'entretien le Français vis-à-vis la mer, en effet dans l'imaginaire français, la terre est le plus important, toute la puissance dépend de la possession de la terre et la mer n'est appréciée que si elle permet une plus grande protection de la terre ou d'acquérir de nouvelles terres.

 

Ainsi la constitutions de grandes flottes dans l'histoire de France correspond aux périodes d'expansion du territoire français sur le continent ou dans les colonies. On peut penser à la flotte royale avant la guerre de Sept Ans mais aussi à la flotte impériale qui devait servir au débarquement en Angleterre. Et à chaque fois, l'échec des flottes est suivi par une période où il n'y a plus de véritable grande flotte et où l'effort est entièrement porté sur la puissance continentale. L'objectif de la puissance maritime pour la France est de s'assurer une plus grande puissance continentale.

 

Les Anglais ont un rapport tout autre vis-à-vis de la mer, la mer est synonyme de vie et de sécurité. Du fait de son insularité, la Grande-Bretagne doit être une puissance maritime pour pouvoir avoir de l'influence.

 

De plus, dans le second XXème siècle, les Britanniques mettent fin aux errements des cinquante années précédentes qui avaient vu le développement d'une armée importante, l'armée redevient ce "boulet de canon craché par la marine", la Grande-Bretagne s'affirme alors comme puissance essentiellement maritime.

 

Face à la domination incontestée de la marine américaine, les Anglais développent "l'interopérabilité", la capacité de la flotte britannique de coopérer avec la flotte américaine. Ce qui s'oppose à la conception de la marine française comme instrument d'indépendance. La marine anglaise sert avant tout à garantir le rang de l'Angleterre comme brillants seconds aux cotés des Etats-Unis.

 

Au tournant du XXIème siècle, en quoi l'aspect maritime compte-t-il dans la puissance, dans la hiérarchie des puissances ? Quel est l'intérêt aujourd'hui d'être une puissance maritime ? Alors qu'au début du XXème siècle, on mesurait la puissance d'un Etat à l'aune de sa force navale, aujourd'hui il semble que ce ne soit plus le cas.

 

De plus la dissuasion depuis la chute du bloc communiste tombe en désuétude faute de pouvoir identifier un ennemi précis et donc la marine perd cette importance stratégique d'arme de dissuasion nucléaire.Toutefois on peut quand même penser que la puissance étant la capacité d'un Etat d'influer sur les décision des autres Etats, être une puissance maritime permet donc cette projection de force, une projection de puissance qui permet d'agir aux quatre coins du globe : Le contrôle de la mer permet de disposer d'une base avancée pour des opérations militaires ou humanitaires.

 

Dans le second XXème siècle, l'exploitation des ressources minières et pétrolières en mer change les données de la puissance maritime. En effet avec la définition des eaux territoriales et de la Zone Economique Exclusive par la convention maritime de 1982, la mer se partage comme un territoire et dès lors le fait d'être une puissance maritime permet aussi de pouvoir exploiter ces richesses sous-marines dans sa Zone Economique Exclusive jusqu'à une limite de 200 milles des côtes et de protéger et surveiller ses eaux territoriales qui s'étendent à 12 milles des côtes.

 

Finalement, même si la force maritime perd sa prédominance symbolique et stratégique dans la définition de la puissance durant le second XXème siècle, elle continue à être indispensable à toute prétention mondiale par ses nouvelles fonctions et l'émergence d'un monde où les interdépendances sont de plus en plus fortes. En paraphrasant Tirpitz on peut dire : "l'océan demeure indispensable à la puissance d'un Etat".

 

Bibliographie :

Philippe Masson, La puissance maritime et navale au XXème siècle, Paris, Perrin, 2002.

Roland Marx, La Grande-Bretagne et le monde au XXème siècle, Paris, Masson, 1986, 239 pages.

André Siegfried, Suez, Panama et les routes maritimes mondiales, Paris, Armand Colin, 1940.

 

Gérard Chaliand, Anthologie mondiale de la stratégie, Turin, Robert Laffon, 2003.

Thucydide, La guerre du Péloponnèse, Paris, Gallimard, 1998.

www.stratisc.org

 

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