L'étranger

 

Avec la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948, on voulait croire que plus jamais ne se reproduirait un tel génocide comme celui que connurent les Juifs pendant la guerre. Et pourtant, les années 1990, avec la purification ethnique dans les Balkans et le génocide rwandais, sont venus nous rappeler que la peur ou la haine de l’étranger étaient loin d’avoir disparues. Même dans la société française, le débat récent autour de la question du voile est venu mettre en lumière les crispations autour de la question de l’identité française. Avant d’aller plus en avant dans notre propos, il convient de rappeler les définitions du terme « étranger »



1/ Personne qui ne fait pas partie ou n'est pas considérée comme faisant partie de la famille, du clan; personne avec laquelle on n'a rien de commun (culture, langue etc)

Personne dont la nationalité n'est pas celle d'un pays donné (par rapport aux nationaux de ce même pays)

2/ C’est dans ce deuxième sens surtout que nous allons traiter la question de l’étranger, sans toutefois occulter le sens premier, car justement, un étranger aura beau être intégré au sein d’une nation et donc n’être plus un étranger en droit, il reste malheureusement souvent un étranger en fait car on continue à considérer que l’on a rien de commun avec lui, notamment sa culture.

 

Problématique 

On va s’interroger sur le rapport à l’étranger au sein de la Cité puis au sein de la Nation moderne. Nous verrons en quoi ce le rapport à l’étranger est un rapport spéculaire riche d’enjeux identitaires. Entre les conceptions universalistes qui visent à effacer le concept d’étranger et les visées totalitaires qui veulent l’élimination de l’étranger du corps social, y a-t-il une synthèse possible et dans ce cas, quelle serait-elle ? C’est ce qu’on va tenter de définir ici.

 

Annonce du plan

La tradition occidentale nous a légué trois modèles de rapport à l’Autre et de définition de l’étranger qui ne sont jamais totalement harmonisés : le modèle grec, le modèle romain et le modèle biblique (I). L’examen de ces trois modèles nous a paru indispensable car c’est à partir d’eux que s’est construit la nation moderne, qui par essence, exclut les uns et inclut les autres (II). Mais le concept de nation poussé à son comble conduit à l’élimination totale de l’étranger. De fait, la démocratie peut sembler la meilleure synthèse entre le nationalisme totalitaire et l’universalisme idéalisé (III).

 

 

I. L’étranger ou le rapport à l’altérité dans la tradition occidentale. (Peng)

 

A. La tradition grecque

 

Pour les Grecs, l’espace qui se constitue progressivement est l’espace de la Cité et l’appartenance de tous les citoyens à la vie commune de la politeia. La Cité nécessite néanmoins la limite, la frontière entre citoyens et non-citoyens.

 L’ouverture du territoire des cités aux étrangers, aux xenoi, essentiellement des Grecs au 5ème siècle av JC, est une pratique généralisée et on assiste à partir de 450 av JC à la normalisation des rapports entre citoyens et étrangers.

Dans le modèle athénien, on parlera des métèques, c’est-à-dire des communautés étrangères implantées dans les poleis par opposition aux étrangers de passage ou présents dans les cités pour des motifs personnels ou des impératifs d’alliances.

 Les métèques sont maintenus dans un état de dominé. Sauf décision exceptionnelle, ils n’accèdent jamais à la propriété foncière ni à la propriété immobilière. Ils ne peuvent pas participer à la vie politique de la Cité. Ils ont accès à la justice et peuvent intenter un procès. Mais leur vie semble avoir moins de prix que celle du citoyen : le meurtrier du métèque est condamné à l'exil, celui du citoyen, à mort ; si le métèque est accusé dans un procès, il peut être soumis à la torture => position sociale inférieure à celle du citoyen

 

B. La tradition romaine

 

Par l’usage délibéré de la force, les Romains ont peu à peu disqualifié la plupart des peuples qui s’opposaient à eux et rayé certaines nations de la carte. En créant un étagement des droits, le droit romain, le droit latin, le droit pérégrin entre le centre et la périphérie, cette vision n’en conduit pas moins cette hiérarchie d’étrangeté de moins en moins étrangère à constituer ce que Claude Nicolet appelle « la mise en place du rapport avec l’autre », à instituer un mode de développement de la citoyenneté. Rome absorbe, « naturalise » si l’on veut très facilement et de manière continue un très grand nombre d’étrangers. Et en 212-213 après JC, l’édit de Caracalla confère la citoyenneté à tous les habitants de l’empire. On pourrait admirer ce processus régulier vers une citoyenneté universelle sous l’appellation de Romains. Mais dans les faits, les choses étaient bien différentes puisqu’il y a avait une gradation des droits et donc pas de véritables égalité entre les citoyens.

 

C. La tradition judéo-chrétienne ou l’idéal universaliste

 

Apparemment, la Bible énonce un principe majeur d’exclusion qui introduit une séparation radicale entre le peuple d’Israël, élu par Dieu, et les autres peuples. La séparation entre le peuple et l’étranger apparaît donc comme première et radicale. Mais il peut s’agir d’une apparence. Le Lévitique enjoint : « Tu accueilleras l’étranger. Souviens-toi que tu as été étranger en Egypte. »

 

Ainsi, dès lors que ces 3 conceptions ont été posées, elles vont être synthétisées dans le christianisme, qui prolonge ces trois moments en les unifiant. Ne sont étrangers à la chrétienté que les païens, étrangers en quelque sorte en attente dans l’espoir du baptême qui les lavera à jamais de l’extranéité. L’idée d’universalité vient de la Bible, les modalités de la réalisation viennent de l’Empire romain( empire universel romain et chrétien). Le modèle de la Jérusalem céleste est comme l’écho affaibli mais tenace de la Cité grecque hellénistique. 

 

Cet idéal universalité, qui essaye en quelque sorte de nier l’idée d’étranger pour penser uniquement l’idée d’humanité, va se heurter à la diversité des nations et à l’idée de civilisation, qui porte en elles l’exclusion de ceux qu’elle considère comme des barbares, les étrangers. Néanmoins, la nation se construira aussi en référence à ces trois modèles.

 

 

II. La nation et l’étranger : l’exclusion, facteur de cohésion de la nation.

 

A. La formation des nations

 

Tout système d’organisation politique inclut les uns et exclut les autres. Depuis la Révolution française, c’est en fonction du principe national et de la souveraineté du peuple réuni en nation qu’est défini l’étranger.

La nation moderne se définit comme une forme politique qui transcende par un projet politique commun des populations différentes par leur origine biologique (au moins subjective), régionale, ethnique, religieuse, sociale ou nationale. Elle crée un domaine politique commun à tous ceux qu’elle inclut, donc un espace juridique et administratif : le national et l’étranger disposent d’un statut juridique différent.

A cet égard, il est intéressant de s’arrêter un instant sur la conception des Lumières et notamment sur la pensée de Rousseau, qui lie la formation des nations au concept moderne d’étrangers, tel que nous le connaissons aujourd’hui.

 

B. L’humanisme des Lumières : les étrangers et le contrat social

 

Le rassemblement de plusieurs individus et la formation de communautés identifiables conduisent concomitamment à un phénomène d’exclusion : l’étranger est une notion qui se révèle à contre-jour, par défaut. Dans l’état de nature, il existe selon JJ Rousseau des différences entre les hommes, mais pas au point de permettre l’établissement de comparaisons : il n’y a que des individus.

Avec l’état social, c’est à la naissance des communautés humaines différenciées que l’on assiste et donc à l’émergence de la notion d’étranger. Rousseau admet la possibilité de l’adhésion de l’étranger à un Etat qui n’est pas sa patrie. Il prend  soin toutefois dans le Projet de Constitution pour la Corse de définir très précisément les conditions d’adhésion à la nation. Cette définition est assez rigoureuse du reste puisqu’elle lie l’accession à la citoyenneté à la propriété du sol et à des relations de filiation.

Finalement, on peut remarquer que la place faite à l’étranger au sein de la cité reflète le débat qui agite Rousseau. Certes, il faut faire un citoyen, mais ce citoyen est aussi un individu, et en tant que tel il participe de l’espèce humaine.

 

En dépit de leur volonté de réaliser une synthèse entre humanité et nationalité, l’œuvre de nombreux philosophes témoigne d’une recherche identitaire fondée sur le principe selon lequel il faut rencontrer l’autre pour savoir qui l’on est.

 

C. La nation à son comble, ou le fantasme de la nation purifiée des étrangers (Peng)

 

La présence d’étrangers au sein d’une nation conduit nécessairement celle-ci à une réflexion sur la place à leur accorder mais aussi à la redéfinition de l’identité de ses propres citoyens. Cette redéfinition a pu conduire à des situations extrêmes d’affirmation de la supériorité de sa propre nation sur toues les autres. Le nazisme en est un exemple frappant.

S’appuyant sur le discours scientifique dominant de race, idéalisant l’homogénéité culturelle et racial comme le fondement de la nation, des sections de la petite bourgeoisie et de la classe moyenne émergente se plaignaient qu’il y avait dans leur nation, des éléments racialement impurs, cette articulation particulière du racisme et du nationalisme identifiait les Juifs comme la première source de pollution. Il fallait purifier le corps social de la souillure et du danger que représentait l’étranger, l’ennemi de l’intérieur aux yeux des nazis. L’étranger est celui qui risque de corrompre le corps social => fantasme de la nation une  qui serait supérieure à toutes les autres.

 

III. La démocratie, la meilleure synthèse entre l’universalisme et le nationalisme ?

 

A. Les démocraties occidentales et l’étranger 

 

 

L’étranger et le national, les deux termes doivent donc coexister. Mais l’époque contemporaine est loin d’avoir résolu le problème de l’étranger et dépassé les solutions antiques, la grecque, la romaine et l’hébraïque.

Si tous les Etats de droit se réclament de la conception biblique qui met en avant la dimension de l’humanité universelle, celle-ci ne nous offre encore aucun moyen de réaliser cette universalité et de construire le monde dans lequel l’étranger ne sera plus un étranger. En vérité, il ne peut y avoir d’espoir de réaliser la construction pragmatique de l’universel, c’est-à-dire la disparition de l’étranger que si l’on accepte les blocs d’Etats, les sociétés organisées. Autrement dit, la démocratie. Il ne pourra y avoir de développement du droit international public c’est-à-dire de rapport de l’étranger et du national, que, petit à petit, lorsque les Etats auront su ajouter à leur droit le droit des peuples et les droits de l’homme.

Aussi bien, l’étranger doit-il être inclus, intégré ou maintenu dans la coexistence des nations.

 

 

B. Le modèle français d’intégration des étrangers (Peng)

 

Tournon et Greven-Borde distingue trois phases :

q       De 1950 à 1981, les immigrés sont considérés comme des travailleurs temporaires ; malgré l’augmentation du nombre d’étrangers (de 1,7millions en 1954 à 3,4millions en 1975), les étrangers se sont vus refuser des droits politiques fondamentaux comme la liberté d’association et ils avaient l’obligation de la neutralité politique sinon expulsion immédiate. On leur refusait des droits de citoyenneté afin d’encourager le retour chez eux.

q       De 1981 à 1985, notamment du fait de l’arrivée des socialistes au pouvoir, on a développé une stratégie d’inclusion qui a crée des conditions favorables à la participation des immigrés au processus politique français. Totale liberté d’association et le gouvernement lui-même finança quantité de nouvelles associations d’immigrés.

q       Après 1985, développement du modèle républicain d’intégration, impliquant d’une part le rejet d’une conception fermée de la nation comme celle de l’extrême droite et d’autre part, une conception multiculturelle de la nation.

Mais depuis la fin des années 80, il existe un réel malaise français concernant le modèle d’intégration républicain qui fonctionne de plus en plus mal car il a une incapacité croissante à assurer ses fonctions traditionnelles de socialisation. L’affaire du foulard l’a bien montré.

 

C. Les paradoxes de l’intégration : intégrer, n’est-ce pas nier l’identité de l’étranger

 

Pour tenter de répondre à cette question, on peut reprendre en compte les arguments de Bruno Latour dans son article « La République dans un foulard », pour qui « le travail de la République laïque, c'est de détricoter et de retricoter des identités multiples, ce n'est pas d'imposer un habit ». Pour Bernard Latour, c’est tout autant une preuve d’intolérance d’obliger qqn à porter un signe d’appartenance comme c’est le cas dans les pays islamiques que d’obliger qqn à ne pas en porter. Selon lui, au négatif comme au positif, l'Etat se mêle d'imposer ou d'interdire la marque d'un groupe donné et donc nie la différence de l’autre.  Pour lui, le choix d’une loi sur le voile, c’est un peu l’illusion d’une universalité vide de sens. On ne doit pas exiger des individus qu’ils choisissent entre leur appartenance culturelle et leur citoyenneté.

Sinon, il nous semble que ce serait faire le jeu du néo-racisme. Idéologiquement, ce néo-racisme, entré en France sur le complexe de l’immigration, s’inscrit dans le cadre d’un racisme sans races. Un racisme dont le thème dominant n’est pas l’hérédité biologique, mais l’irréductibilité des différences culturelles ; un racisme qui ne postule pas la supériorité de certains groupes ou peuples par rapport à d’autres, mais seulement la nocivité de l’effacement des frontières, l’incompatibilité des genres de vie et des traditions. Il faudrait maintenir les distances culturelles, ségréger les collectivités (la meilleure barrière étant encore la frontière nationale).

 

Conclusion

 

Il faut donc avant tout songer à accueillir l’étranger et pas seulement à l’assimiler à tout prix. On ne peut envisager l’assimilation comme une suppression des différences, comme une fusion de l’étranger-immigré dans la société d’accueil.

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